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de leur imputer, même sans preuves, cette tentative de destruction. Presque au même moment, l’impératrice avait passé des paroles aux actes et, par son propre exemple, entraîné les plus timides : « Pour que l’établissement de notre système de la neutralité maritime armée, lisait-on dans le rescrit du 6 juin 1780, puisse être accompli d’après le droit naturel et avoir lieu d’une manière légale au profit de toutes les nations, nous avons décidé de partager une partie de notre flotte de Cronstadt en trois escadres et de l’envoyer croiser dans les différentes mers : la première, commandée par le contre-amiral Borisof, ira dans la Méditerranée ; la seconde, commandée par le capitaine Palibin, ira à la hauteur de Lisbonne ; la troisième franchira le Sund et ira dans la mer du Nord. Leur tâche sera de faire respecter notre pavillon et de garantir nos navires marchands contre tous dommages de la part des puissances en guerre, envers lesquelles nous avons gardé et garderons une stricte neutralité… »

Les esprits n’étaient pas moins échauffés à Londres qu’à Pétersbourg. La plupart des orateurs qui prirent part aux débats du parlement anglais dans la session de 1780 signalaient une rupture avec l’empire des tsars comme inévitable. Lord Cambden, en particulier, démontra tout au long que l’impératrice sapait les bases fondamentales du droit des gens et voulait dicter ses propres lois à toutes les nations maritimes, ajoutant que la Grande-Bretagne devrait, à la suite de cet acte « arbitraire et dangereux, » ou déclarer la guerre à la Russie et à ses alliés ou permettre à ces puissances de secourir à leur guise ses propres ennemis. Lord Stormont, lorsqu’il reçut communication du dernier rescrit, tint un langage plus réservé, s’engageant seulement à prendre en considération « les principes les plus clairs et le plus généralement reconnus du droit des gens, tels qu’ils se trouvent établis dans les auteurs les plus célèbres et suivis par les nations les plus éclairées[1]. » Quand il apprit un peu plus tard, à sa grande colère, l’accession de la Prusse à la ligue, tout en sentant, s’il faut en croire Simolin, « que l’alliance des puissances neutres poussait des racines par trop profondes… et qu’il faudrait changer de principes, » il ne changea point de discours et répondit à l’envoyé de Frédéric II que, les clauses des traités conclus entre la Grande-Bretagne et la Russie ne concernant pas la Prusse, son gouvernement se conformerait dans ses rapports avec cette dernière puissance, « aux principes généralement reconnus du droit des gens. » Catherine, impatientée, écrivit de sa main, en français, sur un rapport de Simolin,

  1. Rapport de Simolin (18 juillet 1780).