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aurait-il joint ses forces à celles de la Grande-Bretagne pour l’aider à dompter la révolte de ses colonies ?

Quoi qu’il en soit, celle-ci tâcha de réparer le temps perdu. Sir Robert Gunning, ministre d’Angleterre à Pétersbourg depuis 1771, fut chargé de proposer à l’impératrice une convention nouvelle d’après laquelle la Russie aurait expédié sur-le-champ 20,000 hommes en Amérique, à la charge par le gouvernement anglais de subvenir à l’entretien des troupes. La Russie, il faut en convenir, eût fait un marché de dupe, et Catherine II n’en fit jamais de semblables. Cependant George III, trompé sans doute par une de ces phrases caressantes que la diplomatie emploie pour ne rien dire, crut l’affaire conclue et, le 1er septembre 1775, écrivit lui-même à l’impératrice pour la remercier de vouloir bien a lui offrir une partie de ses troupes. » Cette fois, on parla clair, et le cabinet impérial répondit par l’entremise de Panine qu’il n’enverrait pas de soldats. Catherine s’en expliqua d’ailleurs elle-même dans une lettre adressée au roi. Toute équivoque était dissipée.

Cependant, le gouvernement britannique ne se tint pas pour battu. Quand la France, en mars 1778, décida de prendre part à la guerre d’Amérique, l’Angleterre, qui venait de perdre déjà plus de 25,000 hommes, une partie de sa flotte et de ses équipages, une quantité de navires évalués à 3 millions de livres sterling, et dont le commerce allait subir de nouveaux coups, tendit encore une fois les mains vers la Russie. Harris (plus tard lord Malmesbury), qui la représentait alors à Pétersbourg, remit au comte Panine, dès le mois d’avril 1778, une note à laquelle était joint un nouveau projet de traité. La tactique était tracée : on y excitait l’impératrice contre le cabinet de Versailles « qui avait été de tout temps l’ennemi de la Russie, » et l’on cherchait à prouver que le moment était venu de porter un coup sensible à la France, mais sans admettre encore qu’une guerre entre la Porte et la Russie pût être envisagée comme un casus fœderis. Comment se figurer que Catherine accepterait une proposition si peu conforme aux intérêts de son peuple ? La Turquie, répondit-elle (6 mai 1778), est notre principale ennemie, et c’est précisément la Turquie que le cabinet anglais met à l’écart pour l’application du traité ! Les négociations ne pouvaient pas même s’ouvrir, et l’alliance des deux cours devenait « impossible. » Harris, à dater de ce jour, porta sur l’impératrice, sa correspondance en fait foi, le jugement le plus sévère, et la traita comme une femme exclusivement guidée dans sa politique par la coquetterie et la vanité. Le portrait n’était ni flatteur, ni ressemblant.

Au même moment, un homme d’État, Vergennes, ministre de