Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/785

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du commerce à tous les ports qui ne se trouvaient pas en état de blocus effectif, renonçaient au droit d’armer des corsaires et proclamaient, comme l’a remarqué M. Vandal, quelques-uns des principes que, vingt ans plus tard, devait poser avec éclat la ligue des neutres.

On sait d’ailleurs quels furent les résultats immédiats de la première alliance franco-russe. La monarchie de Frédéric II faillit être emportée. Apraxine battit les Allemands à Gros-Jœgersdorf en 1758 ; en 1759, Soltykof les battit encore à Paltzig et remporta sur Frédéric lui-même, à Kûnersdorf, une victoire décisive ; en 1760, les Russes entrèrent dans Berlin ; en 1761, ils opérèrent leur jonction avec la grande armée autrichienne, cernèrent le roi dans son camp de Bunzelwise et s’emparèrent de la Poméranie. L’Angleterre jugea le moment venu d’abandonner le conquérant de la veille et, presque sous les yeux de Frédéric, à Breslau, un complot fut tramé pour le livrer à ses ennemis. Il se sentait et se disait perdu : la mort d’Elisabeth le sauva.

D’après quelques historiens, l’alliance franco-russe de 1756 ne pouvait pas ressembler à celle que Pierre le Grand ébaucha dans les dernières années de son règne. Celle-ci leur apparaît comme un acte de politique fondamentale, qui eût cimenté l’union des deux peuples et permis à la France d’accomplir les plus vastes desseins soit dans le Nord, soit dans l’Italie, soit en Allemagne ; l’autre n’était à leurs yeux qu’une œuvre éphémère, issue de sympathies personnelles, sur laquelle on ne pouvait fonder rien de durable. S’ils entendent par-là que Pierre III, admirateur fanatique du grand Frédéric, devait détruire en un jour l’ouvrage d’Elisabeth, ils ne se trompent pas. Ils ne se trompent pas non plus s’ils veulent dire que le gouvernement du roi Louis XV, n’osant secouer le joug de très anciennes traditions et craignant à tout instant de rompre l’équilibre de la vieille Europe, même aux dépens de la Prusse, oscilla trop souvent entre plusieurs politiques. Mais la pensée de l’impératrice ne fut, dans cette dernière période, ni moins nationale, ni moins conforme aux intérêts permanens de sa couronne que celle de son père. Si l’on se demande qui pratiqua la politique d’expédiens en Russie dans la seconde partie du XVIIIe siècle, ce ne fut pas, à coup sûr, Elisabeth, soit qu’elle fit arrêter son ministre Bestoujew et son général Apraxine, dont la trahison était avérée, soit qu’elle se proposât d’arracher à l’Angleterre en 1760, d’accord avec le duc de Choiseul, les débris de notre empire colonial, soit qu’elle poursuivît jusqu’à son dernier soupir la guerre en Allemagne, mais bien plutôt son successeur, quand il se déclara, dans un élan d’enthousiasme puéril, résolu au