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pourraient encore sur l’esprit d’Elisabeth les séductions de la diplomatie anglaise et la parole du tout-puissant Bestoujew ?

Mais ni les habiletés de cette diplomatie, ni les efforts désespérés de Bestoujew ne prévalurent contre la force des choses. Le 1er mai 1756, Louis XV, trahi par son allié, signait à Versailles un traité d’alliance avec l’Autriche ; la tsarine recevait presque aussitôt notre envoyé, l’Écossais Mackensie Douglas, et des négociations étaient entamées pour l’accession de la Russie au traité. Les Prussiens entrèrent brusquement en Saxe (29 août 1756), accablèrent le pays, incorporèrent de vive force l’armée saxonne dans leurs rangs et précipitèrent par là même une action commune. Elisabeth n’insista pas sur une clause secrète, énergiquement repoussée par notre gouvernement, d’après laquelle la France eût fourni, en cas de guerre entre la Russie et les Turcs, des secours en argent à sa nouvelle alliée ; les ratifications furent échangées, les armées de la France et de la Russie se préparèrent à marcher simultanément contre la Prusse. Williams, ambassadeur d’Angleterre à Pétersbourg, essaya vainement d’intimider le gouvernement d’Elisabeth en exigeant que l’attaque du Hanovre fût considérée comme un casus fœderis, de l’attendrir en lui représentant que l’Angleterre était perdue s’il s’unissait à la France, de le corrompre en lui offrant 100,000 livres sterling. Le subside ne fut pas accepté ; la tsarine refusa de garantir l’inviolabilité des possessions hanovriennes ou d’interposer sa médiation entre la Prusse et l’Autriche ; elle se contenta de promettre sa neutralité dans la guerre engagée entre la France et la Grande-Bretagne. En janvier 1759, le duc de Choiseul voulut entraîner la Russie beaucoup plus loin. Préparant une descente en Angleterre, organisant à Brest et à Toulon deux escadres qui devaient se réunir dans la Manche pour escorter une flottille de bateaux plats destinés au transport de 50,000 hommes, il se proposait en même temps d’envoyer le duc d’Aiguillon en Écosse avec 12,000 hommes et voulut donner un rôle à la Russie dans cette seconde partie de l’expédition. Un corps emprunté à l’armée de Soltykof aurait descendu l’Oder jusqu’à Stettin et se serait embarqué sur une flotte suédoise qui devait les attendre à l’embouchure du fleuve et transporter les forces combinées jusqu’au rivage écossais. Mais la Russie ne voulut ni déclarer ouvertement la guerre à sa vieille alliée, ni distraire une partie de ses forces du combat à outrance entamé contre le roi de Prusse. Elle conclut seulement avec la Suède, le 8 mars 1759, avec faculté d’accession pour la France et le Danemark, une convention d’alliance défensive, qui fait époque dans l’histoire du droit international maritime : les puissances signataires garantissaient la liberté