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tranquillement de la possession du littoral. » D’ailleurs, Pierre délaisse Moscou, la ville sainte ; il établit à quelques milles de la mer, sur l’embouchure de la majestueuse Neva, sa nouvelle capitale, rivale d’Amsterdam et de Venise, proclamant ainsi ses desseins à la face de l’Europe. Autant de griefs, autant de menaces : la situation respective des deux puissances est déjà changée. Rendre d’anciennes franchises, subir la concurrence de la Russie dans les mers du Nord, assister à l’éclosion d’une nouvelle puissance maritime, c’étaient bien des malheurs à la fois ; c’en était trop, en tout cas, pour que la bonne intelligence subsistât longtemps. Toutefois, jusqu’en 1708, on négocie, on cherche à s’entendre, et Pierre 1er se prête aux tentatives d’un rapprochement chaque jour plus difficile.

En octobre 1697, après qu’il eut quitté Deptford pour retourner en Hollande, lord Pembroke, Villiers et Williamson adressèrent une note collective à l’ambassade conduite par Lefort « à l’effet de renouer l’ancienne amitié, » c’est-à-dire « de rendre aux marchands anglais les anciennes franchises sans perception de taxes. » Pierre aurait probablement accueilli cette proposition, quoique exorbitante, si la Grande-Bretagne avait bien voulu seconder ses desseins politiques ; mais quelques prévenances et le cadeau d’une vieille frégate, offerte par Guillaume III, ne lui semblaient pas être une compensation suffisante. Cependant il fit les premiers pas, donnant à lord Caumartin, en avril 1698, le monopole de l’importation et de la vente du tabac dans ses États pendant sept ans, conférant en 1701 à Goodfellow, après l’avoir reconnu comme agent et consul-général du gouvernement britannique en Russie, le droit d’affermer la production, le commerce et l’exportation du lin, tolérant même en 1705, malgré le vif mécontentement de la chambre des bourgmestres, que l’envoyé britannique Whitworth, pour empêcher certains contrefacteurs d’introduire la culture et la production du tabac dans l’État de Moscou, allât, accompagné de ses serviteurs, saccager une grande usine et brisât ou brûlât les engins de fabrication. Il attendait sans doute qu’on reconnût de telles complaisances.

Mais son attente fut déçue. D’abord, il s’aperçut assez vite que la Grande-Bretagne, au lieu d’aider au rétablissement des bonnes relations entre l’État moscovite et la Turquie, l’entravait de tout son pouvoir. Ensuite, alors que la Russie, tout en réparant peu à peu le désastre de Narva, soit par la victoire de Hïemmelsdorf, soit par la prise de Noteburg et de Nienschantz, avait besoin de faire la paix avec la Suède, il acquit la conviction que le gouvernement anglais était loin de chercher à lui faciliter une négociation honorable. À la fin de 1706, Pierre le Grand résolut de mettre