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prélats et les monastères s’imposent la construction d’un vaisseau par 8,000 âmes de serfs ; 50 jeunes gens de la noblesse sont envoyés à Venise, en Angleterre, aux Pays-Bas, pour y apprendre l’art des constructions maritimes. Bientôt il part lui-même, affectant de suivre, en qualité de sous-officier du régiment Préobrajenski, la « grande ambassade, » qui va, sous la conduite de l’amiral Lefort et de deux généraux, visiter plusieurs États étrangers. En Hollande, dans l’automne de 1697, il manie la hache, achète un canot, des modèles de vaisseaux, des recueils de lois maritimes, étonne tout le monde par ses connaissances techniques et par son aptitude à la construction des navires ; puis il passe en Angleterre et se fixe à Deptford pour se livrer sur les chantiers royaux à l’étude de son art favori. Bien plus tard, en octobre 1721, lorsque notre envoyé Campredon entrera dans le port de Cronstadt, les goûts du tsar ne seront pas modifiés, son ardeur ne sera pas amortie : il passera sans préambule avec l’envoyé français la revue de ses dix-neuf vaisseaux de ligne en détaillant les mérites de chacun d’eux. Déjà la Russie commençait à compter parmi les puissances maritimes.

Mais comment se figurer que, faisant un tel effort, elle va se borner à naviguer sur une mer qui gèle, comme la Mer-Blanche ? « Les ministres d’Angleterre et de Hollande, écrira bientôt au tsar son ambassadeur Oukraïnstef, prennent énergiquement le côté de la Turquie et lui veulent beaucoup plus de bien qu’à toi, illustre souverain… L’Angleterre et la Hollande te portent envie, sire, parce que tu construis des navires et parce que tu as inauguré un service maritime sous les murs d’Azof et d’Arkhangel, ce qui leur fait appréhender des pertes pour leur grande politique du commerce maritime. » Mais l’Angleterre se demande avec une anxiété particulière si la Russie va décidément devenir une province baltique. Quelles seront les conséquences de cette concurrence nouvelle et de cette émancipation définitive ? Le comte Golovine, président de la chancellerie des ambassadeurs, insiste vainement, en 1705, sur la décision prise par son maître « de ne jamais aspirer au développement de la flotte ni à la construction de vaisseaux de guerre dans les eaux de la Baltique et de n’avoir seulement en vue de ce côté que l’ouverture d’une porte au commerce avec la Russie. » Les intérêts de l’Angleterre exigent plutôt l’éloignement des Russes de la mer Baltique, lit-on dans un rapport de Whitworth qui représente la Grande-Bretagne auprès du tsar (3 février 1706) : « Quoique le tsar soit prêt à promettre qu’il ne construira jamais de flotte de guerre sur la Baltique, la tentation de ne pas tenir cette parole sera toujours trop forte pour lui, une fois qu’il jouira