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pouvaient être acquises à meilleur compte chez les Hollandais ou chez les Allemands (1566). Il fait interdire à tous les étrangers de venir à Kholmogory, aux bouches de la Dvina, à Kola, à Mézène, à Wardhuys. La « Moscovia » pouvait, au contraire, posséder sans empêchement sa maison de Moscou, organiser des entrepôts sur d’autres points de l’État, transiter en franchise ses marchandises à destination de Shemakha, de Boukhara, de Samarcande et de divers pays inconnus. Cette lune de miel dura quinze ans.

Despote implacable, mais serviteur passionné des intérêts moscovites, Ivan IV n’inaugura pas cette politique par un sentiment de sympathie désintéressée, ni même pour complaire à son ami Jenkinson qui l’aurait ensorcelé, dit-on, par ses récits de voyages. À l’ouest comme à l’est et au sud, il a non-seulement conçu, mais commencé ce qu’acheva Pierre le Grand. Quand une charte de Marie Tudor octroya toutes les franchises et toutes les facilités au commerce russe dans les États de sa majesté britannique, la Russie était incapable d’en profiter : il y avait réciprocité de droit, non de fait. Ivan le savait et finit même par l’écrire à Londres (octobre 1570) ; mais il reléguait au second plan l’expansion commerciale immédiate de son empire. Il lui fallait une fenêtre sur l’Europe et ses ennemis immédiats lui fermaient la Baltique ; il fit toutes les concessions possibles aux Anglais qui lui ouvraient la Mer-Blanche, en attendant que le blocus fût rompu d’un autre côté. Les Anglais, gens avisés, le prirent du même coup par l’intérêt et par la vanité. Non-seulement ils lui envoyèrent des médecins, des pharmaciens, des ouvriers mineurs, des architectes, des fabricans d’armes ; mais quand on s’efforçait à l’envi, dans l’Europe continentale, de prouver à Ivan qu’il ne descendait pas de César-Auguste ou qu’il ne tenait pas même son titre impérial d’Arcadius et d’Honorius, ils le saluaient avec enthousiasme « empereur de toutes les Russies » (emperor of all Russia). S’ils avaient pu mieux faire, ils ne se fussent pas arrêtés en chemin. Leur unique tort fut de croire que tant de caresses suffiraient jusqu’au bout à ce barbare à peine dégrossi.

Mais le conquérant de Kazan et d’Astrakhan, dont tout le règne fut un long combat non-seulement contre les peuples finnois ou mongols et contre la Turquie, mais encore contre l’ordre livonien et la Suède, imagina tout à coup d’utiliser les Anglais pour la défense et l’agrandissement de son empire. En avril 1567, il demanda par l’organe de Jenkinson que la reine d’Angleterre fût « l’amie de ses amis et l’ennemie de ses ennemis, à titre de réciprocité. » Ce fut, pour la cour de Londres, une surprise désagréable. Est-ce que