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historiens le Charlemagne russe. Ce prince, après avoir réuni sous son sceptre la Russie partagée entre les nombreux héritiers de saint Vladimir, battu les peuplades lithuaniennes et finnoises, repris la Russie rouge aux Polonais, doté l’empire de son premier code, la Rousskaïa Pravda, et de sa première capitale, Kief, « la ville aux quatre cents églises, » maria sa sœur au roi de Pologne, ses filles, Anastasie, Elisabeth, Anne, aux rois André Ier de Hongrie, Harold le Brave, de Norvège, Henri Ier de France ; il reçut à sa cour les princes proscrits de la Scandinavie et de l’Angleterre. Mais, du XIIe au XIIIe siècle, la Russie perdit la place qu’elle s’était faite en Europe, sous la dynastie des Varègues. Elle succomba sous une triple invasion. Les Porte-Glaives de la Livonie, bientôt unis aux chevaliers de l’Ordre teutonique, asservirent les provinces baltiques ; les Tatars mongols couvrirent le sol russe de leurs hordes belliqueuses, remportèrent quatre grandes victoires, brûlèrent Moscou, saccagèrent Kief, exigèrent des vaincus non-seulement un tribut annuel, mais un contingent militaire périodique et réduisirent leurs chefs naturels au plus dur vasselage ; les Lithuaniens tombèrent alors sur la Russie occidentale, donnèrent Vilna pour capitale aux provinces conquises et les entraînèrent bientôt dans leur propre réunion à la Pologne. Une nuit profonde enveloppa la Russie. Nul n’y régna sans avoir reçu l’investiture des Mongols ; aucune guerre ne pouvait être entreprise sans leur autorisation ; quand leurs ambassadeurs apportaient une lettre du khan, les princes russes étaient forcés de se prosterner devant eux et d’écouter à genoux la lecture du message. On a pu comparer la situation de la Russie, écrasée par les Mongols, à celle des États gréco-slaves, quand ils tombèrent, trois siècles plus tard, sous le joug ottoman. En même temps qu’elle cessa de s’appartenir, elle cessa de compter. Elle avait encore ses querelles de voisinage, parce qu’il fallait bien défendre contre de nouveaux empiétemens les dernières frontières ; mais l’Europe occidentale l’avait oubliée. Pour que la Russie reprenne possession d’elle-même et renaisse à la vie européenne, il faut attendre les dernières années du XVe siècle, et qu’une fille des empereurs byzantins, devenue la femme d’Ivan III, dise à son époux : « Serai-je encore longtemps l’esclave du khan des Tatars ? » Au moment où s’ouvre le XVIe siècle, Ivan le Grand a débarrassé la Russie des Mongols après quarante-trois ans de règne, et presque aussitôt noué des relations diplomatiques avec le saint-siège et la république de Venise, avec le sultan des Turcs, Bajazet II, avec les empereurs d’Allemagne Frédéric III et Maximilien.

Mais, pour entrer dans le concert européen, la Russie ne pouvait pas compter sur l’aide de ses puissans et belliqueux voisins. Les