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caine, dirigée par M. Cecil Rhodes, qui est en même temps premier ministre du Cap, a su en peu d’années prendre possession d’une bonne partie des territoires que lui abandonnait sa concession. Déjà une ville s’élève dans ce qui était jadis le désert, à mi-chemin entre le Transvaal et le Zambèze ; les environs de Fort-Salisbury sont alloués entre des colons désireux de s’enrichir. Une bonne route, en attendant les chemins de fer de Mafeking et de Beira, les réunit au Cap. Depuis quelque temps l’horizon de la compagnie s’assombrit un peu ; elle est menacée d’entrer en lutte avec un puissant chef zoulou, Lo-Bengula, roi des Matébélés, qui dispose, croit-on, de 20,000 guerriers, tandis que la compagnie n’a que 400 soldats et 2 ou 3 canons. Elle ne paraît pas néanmoins s’en émouvoir.

Ces sociétés apportent, il est vrai, dans l’âpre poursuite de leurs opérations l’inimitable égoïsme et l’esprit d’empiétement de la race anglo-saxonne ; de ce dernier trait nous ne saurions les louer, puisqu’au printemps dernier, la British East African Company, la seule dont la situation financière soit d’ailleurs assez critique, a été condamnée par le commissaire anglais, sir Gerald Portal, spécialement envoyé à cet effet dans l’Ouganda, à payer une somme de 522,000 francs aux missions catholiques françaises des pères blancs, pour les dommages qu’elle leur avait fait injustement éprouver, et qu’elle a dû leur restituer trois provinces. Il faut ajouter que ce même commissaire anglais a profité de son voyage pour annexer purement et simplement l’Ouganda et sa féodalité barbare à la couronne de sa gracieuse majesté et qu’en attendant la ratification qui ne pouvait manquer de lui venir de Londres, il a fait construire un port et des routes pour les caravanes, a drainé les endroits les plus marécageux du pays où il a planté du riz et des eucalyptus.

C’est ce côté pratique, ce côté affaires, ce mélange de militarisme et de spéculation de pièces de cent sous et d’héroïsme, qui nous fait jusqu’ici défaut. À quoi sert de défricher, si personne ne vient occuper la place prête à recevoir la semence ? De quelle nécessité urgente apparaît la construction du chemin de fer du Soudan français, qui unira le Haut-Sénégal au Niger navigable, de Kayes à Bafoulabé ! Non-seulement cette absence de communication est une cause d’insécurité pour nos troupes qui attendent impatiemment cette voie ferrée ; mais elle paralyse tout commerce, car il n’est aucune marchandise assez riche, sauf l’or et l’ivoire, pour supporter les frais d’un transport, de 500 à 1,000 kilomètres, à tête d’homme. IL est telle denrée dont le kilogramme qui ne coûte pas tout à fait 5 centimes sur les bords du Niger, et qui pourrait se vendre en France 85 centimes, est grevé de 2 ou 3 francs de transport pour arriver à Bordeaux.

De quelle utilité serait pour nous cette ligne depuis longtemps pro-