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malheureuses, et que l’on comparât, au capital engagé dans toutes, le revenu servi par quelques-unes seulement, on ne trouverait certainement rien d’excessif au profit que les gagnans retirent de leur mise, dans cette loterie des affaires.

Mais ce n’est pas sur ce terrain de détail que la question dite sociale se pose ; et il n’y a même pas lieu pour l’homme d’État de faire un reproche aux ouvriers mineurs d’avoir refusé de recourir à la loi de 1892 sur l’arbitrage. Les trades-unions, réunis à Belfast, il y a quelques jours, repoussaient de leur côté avec énergie ce remède adoucissant, dont les âmes candides se promettaient chez nous de si bons résultats. Les chefs des ouvriers anglais déclarent que l’arbitrage ne leur réussit jamais ; ce qui indique simplement que, toutes les fois qu’ils y ont eu recours, ils se trouvaient avoir tort. Les mineurs du Pas-de-Calais sont dans la même situation ; l’arbitrage qui mit fin à la grève d’il y a trois ans démontra que leurs prétentions étaient déraisonnables, ils le reconnurent et, comme ils avaient chômé quinze jours avant d’en arriver à cette constatation, il leur en coûta 2 millions en salaires perdus. Il en sera le plus souvent de l’arbitrage comme de l’audience préliminaire de conciliation ; le juge de paix énoncera, par voie d’affiches, que ses bons offices n’ont pas été réclamés.

Ce qu’il faut voir, ce qu’il faut dire franchement, c’est l’esprit qui anime ces grèves, ces congrès, ces syndicats batailleurs, que l’on a dû mener, il y a deux mois, en police correctionnelle, pour les contraindre à obéir à cette prescription si bénigne de la loi de 1884 qui oblige les syndicats professionnels à faire connaître le nom de leurs membres. Cette portion agitée et agitante de la nation, qui a l’ambition de parler au nom du prolétariat français, bien qu’elle n’en représente que l’infime minorité, ce groupe socialiste auquel, sous prétexte d’endiguer ou de canaliser un courant dévastateur, beaucoup de députés modérés sont disposés à faire des concessions dont le résultat serait de jeter le désordre dans nos finances ; ce groupe socialiste, que veut-il ? Il crie à tout venant son programme, et ses rêves sont assez connus : partant de ce principe que l’inégalité des richesses parmi les hommes est un mal (ce qui n’est même pas démontré), le collectivisme en conclut, sans prouver d’ailleurs que la chose soit possible, que ce mal doit être évité. Son but ultime est donc la suppression de la propriété individuelle ; dans cet espoir que le jour où tout le monde n’aura plus rien, il n’y aura personne à avoir quelque chose de plus que les autres. En quoi le néo-socialisme se trompe encore, il subsistera d’autres inégalités, celles de la santé et de la force physique, celles du cœur et de l’esprit : le courage, l’intelligence, la patience.

En attendant cette réforme radicale, qui n’est pas à la veille de s’accomplir, les adversaires de l’ordre social se contenteront d’empêcher,