littéraire ou non, est une idée générale, une formule synthétique qui ne peut se définir que par la décomposition de ses divers élémens. » C’est ce que je crois comme lui. J’admets également sans difficulté que si l’œuvre d’un poète est surtout celle de son imagination, son imagination n’étant elle-même que le pouvoir qu’il a de fixer ses émotions dans des formes durables, c’est donc par la nature de sa sensibilité qu’elle s’explique. On pourra se proposer plus tard de compléter la définition ; et, par exemple, on examinera dans quelle mesure les émotions de la sensibilité ou les rêves de l’imagination sont à leur tour nécessairement modifiés par les lois des genres, par les exigences de l’art, par celle du moment ou de l’opinion régnante. Un orateur ou un poète dramatique ne peuvent s’abandonner à toute leur sensibilité. On l’avait dit sans doute, et on le savait avant M. Mabilleau. Émile Hennequin, dans sa Critique scientifique, avait même inventé, pour en exprimer l’idée d’un seul mot, le nom quelque peu barbare, mais significatif, d’Esthopychologie. M. Mabilleau n’en a pas moins tenté de remplir un programme dont on s’était borné à tracer, à indiquer les grandes lignes, et, à ce titre, non-seulement quiconque parlera de Victor Hugo ne pourra se passer de recourir à son livre, mais encore on voudra le suivre, aller plus loin dans le même sens, et ce que la critique y perdra peut-être en agrément superficiel, elle le regagnera en précision, en solidité et en utilité.
Souscrira-t-on d’ailleurs à ses conclusions générales, et par exemple, sans faire du poète un « penseur » accordera-t-on à M. Mabilleau que « peu d’hommes aient jeté autant d’idées dans la circulation universelle que Victor Hugo, « peu d’hommes appelé, à l’honneur de la forme et de la vie, autant de rapports abstraits, peut-être aperçus, mais jamais exprimés avant lui ? » Je n’entends pas bien ce que c’est que « l’honneur de la vie. » Mais de ces idées, puisque M. Mabilleau pouvait citer « d’innombrables exemples, » je regrette qu’il ne l’ait pas fait. Comme d’ailleurs il faut être juste, je remarque là-dessus que M. Renouvier partage l’opinion de M. Mabilleau. « Le grand poète s’est constamment préoccupé des problèmes de la vie et de la destinée, nous dit-il, et il a eu des sentimens ardens, puissans, sincères, et des idées aussi arrêtées, quoique aussi contradictoires entre elles, que les plus fameux philosophes et les penseurs en titre de son époque. » Et c’est sans doute une chose curieuse, que tandis que les « littérateurs » ne réussissent à voir dans les « idées » d’Hugo que ce que le rapprochement des mots ou la nouveauté des métaphores éclairent d’aspects imprévus de la réalité, les « philosophes » au contraire s’accordent à reconnaître un