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ses Maîtres d’autrefois, et encore, dans la manière dont il a parlé de Rubens ou de Rembrandt, les peintres, les vrais peintres trouvent-il qu’il a plutôt échoué. Pareillement, dans le Victor Hugo de M. Mabilleau, l’analyse de la sensibilité du poète m’a semblé un peu superficielle. Elle est aussi traduite en termes encore trop « philosophiques, » je veux dire demeurés à mi-chemin de la transposition qu’on en aurait souhaitée dans la langue de tout le monde. « Etrange revirement ! s’écrie M. Mabilleau presque au terme de son analyse ; c’est la relativité qui fut la forme première de toute sensibilité et de toute pensée chez le poète, et c’est à l’absolu qu’est allé le mouvement dialectique de sa pensée et de sa sensibilité. » Croit-il qu’Hugo lui-même l’eût compris ? et les explications sont-elle faites pour obscurcir ce qu’il s’agissait d’éclairer ?

Mais le grand défaut du livre de M. Mabilleau, c’est d’être assez bizarrement composé. Son analyse de la sensibilité d’Hugo ne « s’encadre pas, » pour ainsi parler, dans l’histoire de la vie et de l’œuvre du poète, et ses divisions ne semblent point naturelles. Par exemple, s’il y avait lieu, comme l’a cru M. Mabilleau, d’écrire tout un petit chapitre sur le Tempérament d’Hugo, — où je suis fâché de retrouver cette mauvaise plaisanterie du Journal des Goncourt, « que le poil de la barbe d’Hugo était le triple d’un autre, et qu’il ébréchait tous les rasoirs, » - cette étude du tempérament n’eût-elle pas dû précéder celle de la sensibilité du poète ? J’en appelle à M. Fouillée ! Ce que je comprends encore moins, c’est que M. Mabilleau, dans ses premiers chapitres, ait d’abord « expédié » la vie la vie et l’œuvre de V. Hugo, pour n’y plus ensuite revenir. Supposé qu’en effet, l’originalité d’Hugo, comme celle de la plupart des hommes, ne se soit dégagée que lentement, successivement, et difficilement des « influences de milieu ; » qu’il ait commencé, dans ses Odes et Ballades, par être plus royaliste assurément que Louis XVIII, et plus classique, en vérité, que Lefranc de Pompignan ; que nul, enfin, n’ait vécu plus que lui de la vie publique de son temps, et, plus jaloux de guider l’opinion, ne l’ait, pour cette raison même, plus fidèlement suivie ni plus flattée, comment pourrait-on séparer l’histoire de son œuvre de celle de sa vie ? l’évolution de son génie de celle des passions ou des idées de son siècle ? l’étude enfin d’Hernani de celle du mouvement romantique, ou les Châtimens des circonstances très particulières sans lesquelles ils n’auraient jamais vu le jour ? Mais, au contraire, veut-on peut-être qu’au lieu de les subir le poète ait dominé les influences de son temps ? qu’il les ait absorbées, ou plutôt résorbées, si je puis ainsi dire ? qu’avec cette force de volonté qui ne le distingue sans doute pas moins d’un Lamartine ou d’un Vigny que sa sensibilité même, il n’ait pris de son siècle que ce qui pouvait servir au développement de son génie, et cela seulement ? la même nécessité revient encore ;