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dit son dépit de n’avoir pu les décider, dès la veille, à réunir toutes les troupes disponibles, piquets et postes exceptés, et à marcher dans la direction d’où s’entendait le canon. « Les soldats, ajouta-t-il avec humeur, ne se sont pas trompés sur l’urgence de ce mouvement. » Enfin, prêts à nous séparer, il me dit qu’il m’offrait une place d’aide-de-camp vacante auprès de lui, et que, si j’acceptais, je pourrais le rejoindre du moment où notre sort serait décidé. La proposition était flatteuse, et je l’agréai avec empressement et reconnaissance.

Le 17, à la petite pointe du jour, je fus réveillé par des cris et un mouvement extraordinaires. Aussitôt hors de ma tente, je vois une jeune paysanne que l’on entoure et que l’on questionne. Parvenu à elle, je l’interroge à mon tour et j’apprends qu’elle est d’Haumont, qu’elle en arrive, et qu’il n’y a plus d’ennemis autour du camp. On ne peut se faire une idée d’une explosion et d’une joie semblables. De suite cette nouvelle se propage ; mille bouches proclament ou répètent : « Nous sommes débloqués. » Les soldats prennent les armes, les bataillons se forment, tous les tambours battent la générale sans ordre, au milieu d’acclamations qui tenaient du délire. En effet, la bataille de Wattignies avait été gagnée dans la seconde journée de la lutte ; elle l’avait été par le général Jourdan, grâce à l’application du système de masses portant sur un des points de l’ennemi. Il faut bien le dire encore, la crainte de ce que notre camp devait faire avait en partie tenu lieu de ce que nous n’avions pas fait, et je dis en partie, car si les vingt mille hommes de Maubeuge avaient secondé l’armée de secours, ainsi qu’ils le pouvaient, l’ennemi, au lieu d’être repoussé, était complètement battu.

Cependant des aides-de-camp accouraient de toutes parts, pour savoir ce que signifiaient et la générale qui continuait à battre avec fureur, et cette prise d’armes, et cette bruyante joie ; informés de notre délivrance, ils reportent, au grand galop, cette nouvelle à leurs généraux, qui enfin parurent, trop honteux de leur conduite pour ne pas être embarrassés de leurs personnes.

Quant aux troupes, au lieu d’attendre en bataille, elles s’étaient déjà mises par le flanc et marquaient le pas d’impatience, provoquant une direction. L’attente ne pouvait plus être longue ; en un quart d’heure, le camp était vide ; mais, par une bêtise digne de tout ce qui l’avait précédée, la colonne dont mon bataillon prit la tête fut dirigée sur la route d’Avesnes passant par les bois d’Haumont. Nous n’avions pas fait cinq quarts de lieue, que, sous l’escorte d’un escadron de cavalerie, nous vîmes venir à nous le général Jourdan et les représentans Carnot, Bar et Duquesnoy : « Que faites-vous sur cette route ? nous cria le premier du ton d’un chef irrité. Marchez sur Saint-Remy ! Ce sont les bords de la Sambre que vous devez suivre. » Il avait raison,