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Maubeuge, comme la rapidité de leur instruction dépassa ce que l’on aurait pu croire, ils formèrent en peu de mois une formidable armée.

Telle fut la première expédition à laquelle je pris part, expédition fort peu militaire sans doute, mais qui me rendit acteur dans une de ces circonstances où la force établit le droit. Quarante-huit heures plus tôt, je ne songeais guère à désarmer les Invalides. On voit quel bouleversement s’opérait dans les idées et dans les positions ; dès lors, mon zèle s’enflamma à ce point qu’il n’y eut pas aux Feuillans de soldat plus ardent que moi.

En rentrant des Invalides, nous étions tous invités par le président du district à nous trouver aux Feuillans un peu avant dix heures du soir. Cet appel était général. Arrivé l’un des premiers, je pris part à une discussion assez vive sur les moyens que Paris pouvait avoir pour résister à l’attaque vigoureuse dont il était menacé cette nuit même et sur la manière d’exécuter les reconnaissances que la section avait ordre de faire. Inspiré par les circonstances et me rappelant avec bonheur quelques-uns de ces mots techniques attrapés à l’École militaire de Berlin, ayant même cité avec à-propos un ou deux des préceptes de Frédéric, on me crut une capacité que j’étais loin d’avoir ; il en résulta que moi, le plus jeune de tous ceux qui se trouvaient là, je reçus le commandement de 600 hommes, chargés de la plus importante des reconnaissances, de celle qui avait pour objet de se rendre par la porte Maillot dans le bois de Boulogne, afin de savoir s’il y avait des troupes réunies.

C’est ainsi que je débutai dans la carrière du commandement. Dans une position semblable, je ne sais pas encore aujourd’hui ce que j’aurais pu faire de mieux ; au reste, on retrouvera dans le cours de ces Mémoires d’autres exemples de ce fait, que le besoin a toujours été suivi chez moi de l’inspiration qui m’était nécessaire. Il est inutile d’ajouter, sans doute, que j’aurais été ravi d’échanger quelques coups de fusil. Cependant, j’évaluais assez bien la composition, l’instruction et l’armement de mon détachement, pour ne me soucier ni d’une manœuvre au moyen de laquelle on m’aurait tourné, ni d’une attaque à la baïonnette, au moyen de laquelle on m’aurait enfoncé, et encore moins d’une charge de cavalerie. Aussi, quoiqu’il y eût de l’enthousiasme et même de la résolution dans ma troupe, ai-je toujours été convaincu que ce fut un bonheur de n’avoir eu à mettre sérieusement à l’épreuve ni l’un ni l’autre. Voilà, au surplus, bien des minuties, mais il faut comprendre que ces détails ont en quelque sorte pour moi le prix de souvenirs d’amour, puisqu’ils sont les prémices d’une carrière à laquelle j’ai dévoué ma vie et dont certes je n’ai pas fait un simple métier.

Le 15 au soir, on me confia un second détachement, à peu près de la force du premier ; mais ma mission fut moins avantageuse et se