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fut grâce au concours des amis que ses écrits lui avaient faits dans le parti philosophique et surtout à l’intérêt que lui portait d’Alembert, qu’il obtint la chaire de grammaire générale à l’École militaire de Berlin, récemment fondée par Frédéric. Le roi de Prusse avait été si satisfait des réponses de Thiébault à toutes les questions qu’il lui avait posées sur sa famille, sur ses études, ses voyages, ses anciens amis de France, qu’il l’avait fait entrer d’office à son Académie, dans la classe des belles-lettres.

Plus soumis ou plus résigné, d’un esprit moins mordant et moins audacieux, quoique aussi bon courtisan que son illustre prédécesseur, dont les faits et gestes et la mémorable querelle avec Maupertuis et l’Académie prussienne défrayaient encore, après tant d’années écoulées, la chronique et les conversations de la petite cour, tandis que Voltaire lui-même, depuis longtemps revenu du rêve de faveur et de puissance un moment entrevu à Potsdam, oubliait glorieusement à Ferney ses mésaventures, Dieudonné Thiébault put rester vingt ans dans l’entourage et l’intimité hautaine de Frédéric, ayant pour tout devoir de réviser d’assez loin, comme on l’imagine, les écrits du roi philosophe, et de les faire imprimer.

Il a conté lui-même son arrivée et sa vie à la cour de Prusse dans ses Souvenirs de vingt ans de séjour à Berlin. Cet ouvrage, malgré les beaux travaux publiés depuis sur le rogne de Frédéric II, sur sa diplomatie et ses campagnes, n’a guère perdu de son originalité et reste encore son meilleur titre au regard de la postérité, puisque l’on a pu dire que toutes les anecdotes rapportées, tous les caractères tracés par Thiébault sont exacts. Son fils en reçut, d’ailleurs, sous l’Empire, du duc de Bassano un témoignage irrécusable : « Dans un grand dîner que l’empereur donna à Berlin, en 1807, je demandai à M. le maréchal de Möllendorf quelle était son opinion et quelle avait été l’opinion de la cour et de la ville sur les Souvenirs de M. votre père. Ce maréchal répondit que l’ouvrage avait été reçu et lu avec le plus vif intérêt par toutes les classes de la société ; qu’il s’y trouvait peut-être tel fait dont votre père n’avait pas connu tous les détails, mais qu’à cela près d’un très petit nombre d’erreurs sans importance, c’était incontestablement dans ce genre l’ouvrage le plus véridique qui ait jamais paru et par-dessus tout l’ouvrage du plus honnête homme du monde. »

Les Souvenirs de Dieudonné Thiébault avaient été imprimés en 1804. Les Mémoires autographes de son fils, le général, dont nous devons la communication à l’obligeance de sa fille et des éditeurs[1],

  1. Le premier volume des Mémoires du général baron Thiébault paraîtra prochainement à la librairie Plon.