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— Mais elle a peur de n’y pas réussir, car elle sent l’attention fixée sur elle ; précisément parce que sa présence rend le mot plus inconvenant, elle devine qu’on l’observe à la dérobée ; elle se représente tous les regards braqués sur elle, et il lui semble que ces regards la démasquent. — Ce cas, en dépit des apparences, est donc analogue au précédent : que nous rougissions d’un mot grivois ou d’un éloge, le fait psychologique est le même ; il y a un sentiment que nous voulons cacher, et qui risque d’être découvert ; il nous semble qu’on le voit au fond de nous, malgré nous.

Le cas du timide semblerait aussi très différent. Quel rapport y a-t-il entre un écolier qu’on interroge et une jeune fille troublée d’un mot déplacé ? Pourquoi rougit-il ? — Parfois, c’est de son ignorance, tout simplement, qu’il rougit : il a conscience de ne pas savoir ce qu’il devrait ou voudrait savoir ; il n’est pas en mesure de répondre ; il sent qu’on va découvrir ce qu’il tient à cacher, le vide de son esprit. — Le plus souvent son amour-propre est excité : il désire faire une réponse juste ou brillante, donner de lui-même une idée flatteuse, et il a peur de la donner moins flatteuse qu’il ne le désire. Alors il se produit en lui comme un rapide bouillonnement d’amour-propre. Mais il ne veut pas que ses camarades s’en aperçoivent : il sait qu’on se moquerait de lui si on se doutait de son trouble. Or, il a peur qu’on ne s’en doute : il a l’impression que les regards plongent jusqu’au fond de lui ; il lui semble qu’on lit à livre ouvert ce qui se passe en lui. — Dans les deux cas, le fait psychologique est le même : l’écolier tremble pour quelque chose qu’il veut cacher ; il a le sentiment qu’on voit en lui ce qu’il veut garder secret, son ignorance ou sa vanité. — La jeune fille à qui l’on adresse brusquement la parole est comme l’écolier : désir de répondre juste, crainte de dire quelque chose de déplacé, et sentiment qu’on voit ce qui se passe en elle ; tel est son intérieur d’âme. — Le débutant qui entre dans un salon, lui aussi, est ému : il a peur des gestes qu’il va faire, des attitudes qu’il va prendre, des mouvemens qu’il va exécuter, des mots qu’il va dire ; il voudrait marcher comme d’habitude et ses jambes s’y refusent ; il voudrait parler avec naturel, et sa gorge est sèche et son esprit est confus ; tous ces actes, si aisés d’ordinaire, sont devenus impossibles pour lui. Il souffre horriblement de cette activité rentrée ; mais il ne veut pas qu’on s’en aperçoive, et il tremble qu’on ne s’en aperçoive ; il se figure toutes les attentions fixées sur lui, il prend pour son compte tous les sourires qu’il entrevoit, tous les chuchotemens qu’il croit entendre. Il lui semble qu’on lit au fond de son âme. — Quand une jeune femme rencontre soudain dans la rue une personne connue, sa psychologie est la même : jusque-là