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Au lever du soleil, l’empereur, nu jusqu’à la ceinture, fut conduit par les moines en face du porche de l’église de Canossa. Les deux acolytes d’Henri, le prêtre et l’homme d’épée, qui cachaient si soigneusement leurs visages, réussirent à pénétrer dans le château et s’arrêtèrent à quelque distance du roi, en un recoin des vieilles murailles.

Les évêques et les seigneurs allemands excommuniés sortirent alors de leurs cachots. Accablés par l’excès de la pénitence, ils s’agenouillèrent en demi-cercle aux deux côtés de leur prince.

Lorsque Grégoire parut, vêtu lui-même de deuil, avec la chape violette et la mitre de laine blanche, les supplians se jetèrent en avant, la face dans la neige, les bras en croix, avec de grands cris, demandant d’être purifiés de l’anathème et rendus à l’Église de Jésus-Christ.

Le pape s’assit sur un siège de bronze, tout en haut des degrés du portail et contempla quelques instans cette scène inouïe. On dit qu’alors, ému jusqu’au cœur, il versa des larmes, larmes de pitié ou d’orgueil.

L’évêque de Verceil lui remit en mains une baguette. Grégoire, tout en récitant à voix haute le psaume Miserere mei. Domine, secundum magnam misericordiam tuam frappait à chaque verset l’épaule d’un nouveau pénitent à genoux sur la première marche de l’église. Puis, il se leva, retira sa mitre, et, joignant les mains, il invoqua lui-même le pardon de Dieu. Il se rassit et prononça la formule de l’absolution.

Le roi se releva et le pape lui tendit les bras. Il prit Henri par la main, le fit couvrir d’un manteau et l’introduisit dans la nef en disant :

« Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, je te rends la participation aux mystères de la mère Église. »

Il lui donna le baiser de paix, ainsi qu’aux évêques qu’il venait d’absoudre. Il déposa la chape de deuil, revêtit la chasuble blanche et s’avança vers l’autel. Des voix d’enfans chantèrent le Kyrie, et la messe pontificale commença.

C’était une vieille église, étrangement ténébreuse, aux voûtes basses appuyées sur de lourds piliers, une crypte mortuaire que la lueur des cierges et des lampes éclairait d’une façon funèbre. Les bêtes apocalyptiques qu’un ciseau barbare avait sculptées aux chapiteaux, les griffons, les salamandres et les licornes semblaient s’éveiller de leur sommeil de pierre et, parmi les reflets incertains des lumières de l’abside, baignées par les fumées bleuâtres de l’encens, déployaient leurs ailes comme d’immenses chauves-souris, rampaient et s’enroulaient avec une lenteur fantastique autour des acanthes de granit. Dans la demi-coupole de l’abside, une mosaïque rongée par l’humidité, noircie par les vapeurs de l’autel, laissait