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bêtes sauvages avec les Pères du désert, au loup qui conduisit saint Antoine à la grotte de saint Paul l’Ermite, au corbeau, qui, ce jour-là, apporta aux deux solitaires une ration double de pain et de fruits, aux deux lions, qui, le soir de ce jour, se présentèrent avec mansuétude, afin de creuser de leurs ongles la fosse de saint Paul, et, lorsque l’ascète eut été enseveli, se retirèrent dans les bois.

La neige tombait sur la campagne muette, sur Rome, sur le Latran ; le vent d’hiver pleurait de la montagne à la mer ; et les deux enfans, serrés autour du brasero la tête blonde de Pia reposant parfois sur l’épaule de Victorien, voyaient se lever devant leurs yeux l’image radieuse du printemps de l’Église.

Mais un grave événement allait troubler, pour quelque temps, ce bonheur limpide. Un matin, vers la fête de Noël, le pape fit appeler dans son oratoire Victorien, et lui dit :

— Mon fils, vous m’avez promis d’être toujours prêt à l’appel du saint-siège romain. Demain, je quitte Rome, afin de chercher l’empereur repentant du côté des Alpes, peut-être jusqu’en Allemagne : je vous ai choisi pour m’accompagner dans les rangs de la chevalerie apostolique.

Et le lendemain, le fils de Cencius marchait, à la droite de la litière pontificale, sur le chemin de Canossa.


V. — CANOSSA.

C’était, pour le jeune empereur Henri, une irrésistible nécessité de se réconcilier avec Grégoire Vil. Les signes effrayans se multipliaient contre son apostasie. Son conseiller le plus sage, Wilhem, évêque d’Utrecht, mourait en quelques jours d’un mal mystérieux ; il avait vu les démons entourer son lit d’agonie et ses dernières paroles avaient été :

— Par l’iniquité de notre maître, nous sommes damnés pour la vie éternelle.

Les grands vassaux et les évêques complotaient la ruine du prince sacrilège. Un souffle de révolte, parti de la Saxe, courait sur toutes les provinces de l’empire. À Tribur, sur le Rhin, les seigneurs confédérés, en présence des légats pontificaux, avaient dressé contre leur suzerain un acte d’accusation révolutionnaire ; les désordres de sa jeunesse, les cruautés et les injustices de son règne, sa passion pour la guerre, sa dureté à l’égard des orphelins et des veuves, ses attentats contre les églises et les monastères, sa déloyauté, tous ses engagemens rompus a comme toiles d’araignées, » les voleurs, les homicides et les adultères couverts par la majesté de l’empire, la noblesse allemande n’oubliait aucun des