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consolation des âmes tendres. Voyez Victorien : il a commencé sa vie par une longue souffrance, mais un seul acte de sacrifice et d’amour lui a assuré, jusqu’à son dernier jour, la paix des âmes généreuses.

Il la ramenait ainsi à la candeur de sa plus lointaine enfance, il versait sur ces deux jeunes fronts comme un nouveau baptême ; il effaçait de leur pensée la trace des heures mauvaises ou l’inquiétude des croyances trop sévères.

Il errait souvent au hasard, soit à travers les solitudes intérieures de la ville, soit hors des vieux murs dans la noble campagne romaine. Il aimait l’air vif, l’ardent soleil, le frémissement des feuillages, la fraîcheur des prairies, la gaîté des oiseaux, le charme des fleurs. Il disait volontiers que le ciel était la plus magnifique voûte d’église qu’il connût et que, vues des tours du Latran, les montagnes du Latium s’élevaient, telles qu’un maître-autel tout incrusté de saphirs et d’émeraudes. Au temps où il portait la crosse épiscopale d’Assise, il allait, parfois, le dimanche, seul, à pied, célébrer la messe à Spello ; puis, toujours à travers champs, il se rendait à Foligno, pour y prêcher l’Évangile du jour. Il remontait la colline d’Assise très tard, dans la nuit étoilée, quand le comte avait fermé les portes. Il avait perdu des heures délicieuses à s’entretenir çà et là avec des pèlerins ou des pâtres, à donner des bouquets de thym à brouter aux chevreaux, à épier, dans les osiers de quelque étang, le ménage d’un nid de sarcelles. Si le portier de la ville, endormi ou mal disposé, n’ouvrait point à l’évêque la porte de son bercail, Joachim redescendait paisiblement dans la vallée, écoutant, le long des haies, dans les sentiers ténébreux, la chanson des rossignols de l’Ombrie, puis il gagnait, tout en bas, l’ermitage de Saint-Damien, sûr d’y trouver l’hospitalité de l’âge apostolique : un verre d’eau claire, pour se rafraîchir, et trois planches, pour rêver de la Jérusalem céleste.

Il résolut donc de présenter ses deux pupilles à la nature, dès les premières journées du printemps. C’était, pour l’un et l’autre, une grande nouveauté. Victorien, toujours enfermé dans les châteaux de son père, ne connaissait guère que le Tibre aux eaux limoneuses, coulant entre les roseaux de ses rives ; Pia avait vécu d’abord dans la plaine brumeuse de Soana, parsemée de peupliers au pâle feuillage ; puis elle n’avait vu la Toscane que par les fenêtres de la comtesse Mathilde. La campagne de Rome, vivifiée et parée par le soleil d’avril, devait être, pour ces deux enfans, comme une révélation.

On partait du Latran à midi, en petite caravane ; à droite, Victorien à cheval, au milieu, Pia assise sur une vieille mule, très prudente et très douce, qui avait appartenu au pape Nicolas II,