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LA CHIMIE DANS L’ANTIQUITÉ.

le moyen âge, à détourner les esprits de la science pure et à les maintenir dans une voie où la recherche scientifique côtoyait sans cesse l’illusion, le charlatanisme et même l’escroquerie. C’est ainsi que l’alchimie a poursuivi son cours, s’enrichissant sans cesse de faits et de doctrines nouvelles, jusqu’au jour où la clarté définitive s’est faite tout d’un coup, le système véritable qui préside aux métamorphoses de la matière ayant été découvert par Lavoisier. Ce jour-là, la connaissance de la constitution de la matière a fait un pas que nulle déduction purement logique n’aurait pu accomplir, et elle est sortie du cadre des conceptions antiques. Les vieux élémens, réputés jusqu’alors des êtres véritables, ont passé dans la catégorie des phénomènes, et la métaphysique d’autrefois en a été profondément troublée. Une science à la fois antique et moderne, la chimie, a pris dans l’ensemble des connaissances rationnelles une place que les doctrines suspectes dont elle était mélangée lui avaient fait jusque-là contester. Mais c’est à tort que les savans de la fin du xviiie siècle, dans l’enthousiasme de leur triomphe, ont cru pouvoir faire table rase, en chimie comme ailleurs, des opinions et des faits acceptés avant eux. C’est là une prétention qui s’est d’ailleurs reproduite plus d’une fois en chimie, même de notre temps ; prétention injuste et illusoire, parce qu’elle méconnaît à la fois la continuité et la faiblesse de l’esprit humain. Ce n’est que par des efforts graduels et incessans, en traversant bien des mécomptes, des erreurs et des préjugés, qu’il parvient à la connaissance de la vérité. Aujourd’hui, nous pouvons juger les choses avec plus d’impartialité, et le moment est venu de restituer à l’histoire de la civilisation les longs travaux de nos prédécesseurs et d’apprécier les services qu’ils ont rendus à la fois aux arts pratiques et à la philosophie naturelle.


M. Berthelot.