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Il y avait là des progrès considérables, par rapport aux connaissances des anciens, progrès dans lesquels il n’est pas facile de faire une part distincte aux travaux des praticiens occidentaux antérieurs et à ceux des Arabes et de leurs disciples, les deux traditions s’étant confondues au moment des croisades.

Mais c’est à tort que l’on a prétendu faire remonter, soit aux Arabes, soit aux auteurs des xiie et xiiie siècles, la connaissance précise de nos acides sulfurique, chlorhydrique, azotique et de leurs sels métalliques bien définis. Les préparations confuses et compliquées d’alors n’ont été débrouillées en réalité que plus tard, dans l’Occident latin, pendant le cours des xive et xve siècles. Si on a cru rencontrer les produits définis de la chimie moderne dans des traités plus anciens, c’est par suite de fausses attributions, d’une intelligence imparfaite des textes, enfin en raison d’interpolations de date plus récente, faites du xive au xvie siècle. Dans l’alchimie du pseudo Aristote, par exemple, à la suite d’un grand nombre d’articles, on distingue à première vue plusieurs groupes d’additions successives, ajoutées évidemment, de siècle en siècle, par les copistes qui voulaient tenir le manuel au courant. Or, ces additions manquent dans les plus anciens manuscrits.

Puissent les développemens que je viens de présenter laisser dans l’esprit du lecteur une idée plus exacte de la marche de la science chimique pendant le cours des âges, depuis ses origines gréco-égyptiennes jusqu’au temps de la première renaissance des études, en France et en Europe, vers le temps de saint Louis ! Cette marche a été parallèle à celle des autres sciences : l’esprit humain procède à une même époque suivant des voies analogues dans les divers ordres. Fondée sous une forme rationnelle, mais avec quelque mélange de chimères, par les Alexandrins, la science ou plutôt la pratique chimique a subsisté pendant les âges barbares, en Orient comme en Occident, à cause des nécessités industrielles. Cependant son évolution théorique a repris d’abord chez les Arabes, disciples des Syriens, qui avaient reçu eux-mêmes la doctrine des Grecs ; les idées des anciens, modifiées par les Arabes, ont été réintroduites par eux dans le monde latin, aux xiie et xiiie siècles. Elles y ont pris un essor nouveau, qui s’est poursuivi sans interruption jusqu’à notre temps, où elles ont revêtu une forme absolument scientifique. Mais ce résultat n’a pas été acquis du premier coup : les hommes se dépouillent difficilement de leurs chimères et de leurs espérances, surtout quand elles sont associées à des conceptions mystiques.

L’appât de la richesse, la prétention décevante de fabriquer de toutes pièces les métaux précieux, ont continué, pendant tout