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prendre dans la chimie occidentale un rôle prépondérant : je veux parler des acides, des alcalis et des dissolutions métalliques. Déjà entrevus par les Grecs, ils furent étudiés d’une façon plus approfondie par les Arabes, mais sans être isolés par eux d’une façon définitive. Les alchimistes grecs confondaient toutes les liqueurs actives de la chimie sous le nom d’eaux divines ou sulfureuses ; — le mot grec (θεῖον), signifie les deux choses. Les liqueurs obtenues par filtration ou distillation des mélanges les plus dissemblables recevaient chez eux cette dénomination. Le soufre et les sulfures y entraient d’ailleurs fréquemment comme ingrédiens essentiels. À l’origine, dans le papyrus de Leyde, ce nom s’applique à un polysulfure de calcium ; mais chez les auteurs alchimiques, le sens en est plus vague et plus compréhensif. Il embrassait à la fois des liqueurs acides, appelées cependant de préférence vinaigres, des liqueurs alcalines, des solutions de sulfures et de sulfarsénites alcalins, capables de teindre superficiellement les métaux, etc. Aussi les passages où le mot d’eau divine figure sont-ils d’une intelligence difficile et parfois impossible, à cause de l’indétermination du sens précis caché sous cette désignation.

L’étude des eaux divines se perfectionna dans le cours des temps. Cependant elles ne sont pas décrites en détail dans les traités arabes cités plus haut ; mais il en est fait une mention plus claire dans les traductions arabico-latines. Ainsi le traité de Bubacar renferme un livre sur les Eaux acides, qui ont le pouvoir de dissoudre les métaux ; un autre livre sur les Eaux vénéneuses, préparations alcalines et ammoniacales, sulfures complexes. Mais toutes ces préparations sont encore bien confuses ; il y entre, comme dans les médicamens de l’époque, des ingrédiens multipliés, soumis chacun à des traitemens si divers qu’il est souvent difficile d’en préciser la composition véritable, au point de vue moderne.

Dans le Livre d’Hermès, autre œuvre du xiiie siècle, on lit un chapitre sur les Eaux-fortes, comprenant le vinaigre, l’urine putréfiée (carbonate d’ammoniaque), les solutions d’alun (sulfates provenant des pyrites), la lessive de cendres traitée par la chaux (potasse caustique), etc. Le Livre des douze eaux était célèbre au xiiie siècle. Dans un manuscrit de cette époque, on trouve mentionnés nominativement les adeptes connus du copiste : ce sont des moines de la Haute-Italie, originaires de Crémone, Brescia, Verceil, Pavie, etc. Ces moines pratiquaient l’alchimie. Or, « Maître Jean, y est-il dit, emploie dans ses opérations le Livre des douze eaux, qui occupe deux folios. Richard de Pouille le possède également. » Ce titre a été appliqué d’ailleurs à plusieurs ouvrages distincts. La liste des eaux et préparations qui sont décrites dans