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un soufre rouge et clair. — Le mercure blanc, fixé par la vertu d’un soufre blanc, engendre une matière que la fusion change en argent. — Le cuivre est engendré par un mercure trouble et épais, et un soufre trouble et rouge. — L’étain est engendré par un mercure clair et un soufre blanc et clair, cuit pendant peu de temps ; si la cuisson est très prolongée, il devient argent, etc. Cette génération des métaux est accomplie en cent ans dans les entrailles de la terre ; mais l’art pourrait en abréger l’accomplissement. Il s’effectue alors en quelques heures, ou en quelques minutes. »

Ces doctrines singulières montrent quelles idées on se faisait alors de la constitution des métaux et quelles théories guidaient les alchimistes, dans cette région ténébreuse et complexe des métamorphoses chimiques. Peut-être ne doit-on pas traiter ces idées avec trop de dédain, si on les compare avec les conceptions en honneur parmi les chimistes d’aujourd’hui sur les séries périodiques des corps simples, alignés en progressions arithmétiques, et sur la formation supposée des métaux dans les espaces célestes.

Quoi qu’il en soit, on voit par là quelles ont été les additions faites par les Arabes aux idées des alchimistes grecs. C’est aux Grecs, en effet, à qui ils ont emprunté le dogme fondamental de l’unité de la matière et l’hypothèse de la transmutation, ainsi que la notion du mercure des philosophes ; ils ont seulement modifié la doctrine de la teinture de ce mercure quintessencié par le soufre et les composés arsenicaux, en la remplaçant par la composition même de ces métaux, au moyen de deux élémens mis sur le même rang, le mercure et le soufre, et ils ont développé toutes ces théories par des rêveries numériques et des subtilités sans fin.

Tel est notamment le cas du véritable Geber, d’après la lecture de ses ouvrages authentiques. Il diffère extrêmement du personnage qui a usurpé son nom dans les histoires de la chimie. Le dernier personnage, en effet, est apocryphe, et il représente les œuvres réunies de plusieurs générations de faussaires.

Ce récit vaut la peine d’être fait. En effet, la littérature alchimique, comme la littérature prophétique, est remplie d’apocryphes, depuis l’Égyptien Hermès, divinité changée en homme et auteur pseudo-épigraphe de tant d’écrits, à partir des prêtres de Thèbes et de Memphis, qui mettaient sous son nom tous leurs ouvrages, jusqu’aux Alexandrins, dont certaines élucubrations attribuées à Hermès Trismégiste nous sont parvenues, enfin jusqu’aux Arabes et aux Occidentaux, qui n’ont cessé de multiplier au moyen âge, et même au xixe siècle, les livres mis sous le nom d’Hermès.

Le pseudo Démocrite est le plus vieil auteur de personnalité