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grande autorité, du vivant même de ces personnages, ou dans la génération qui les suivit et qui conservait le souvenir de leur puissance. Aucun traité de Khaled ou de Marianos, dans son texte arabe ou syriaque, n’est venu jusqu’à nous, à ma connaissance ; mais nous possédons des traductions latines de livres qui portent leur nom : seulement, par suite d’une altération commune aux mots sémitiques, où les voyelles comptent peu, Marianos est devenu en latin Morienus. L’une de ces traductions est même la plus ancienne œuvre arabico-latine qui porte une date certaine, celle de 1182, où elle fut exécutée par Robertus Castrensis. L’auteur original dit être devenu moine quatre ans après la mort d’Héraclius, et il rapporte sa science au Livre de la chimie, composé par Hermès : il reproduit un certain nombre des axiomes des Grecs ; la seconde partie de son opuscule consiste dans un dialogue avec Khaled (écrit Calid). Sous le nom de Calid même, on possède également des traductions latines, d’authenticité incertaine. Il aurait eu, dit-on, pour disciple Djaber-ben-Hayyan-Eç-Çoufy, le célèbre Geber des Latins.

Cependant les notices biographiques consacrées à ce dernier par les auteurs arabes laissent flotter sa personnalité dans un milieu un peu légendaire. Il était, d’après les uns, natif de Tousa, ville du Khorassan, et établi à Koufa, en Mésopotamie ; tandis que Léon l’Africain prétend que c’était un chrétien grec, converti à l’islamisme. D’autres chroniqueurs le font naître à Harran, parmi les Sabéens, c’est-à-dire parmi les derniers partisans du culte des astres et des religions babyloniennes. Enfin, d’après le Kitab-al-Fihrist, certains historiens contestaient même l’existence de Geber. L’époque de sa vie est incertaine entre le viiie et le ixe siècle. En effet, le récit qui en fait un disciple de Khaled le placerait au début du xiiie siècle ; tandis que d’autres historiens le rattachent au groupe des Barmécides, contemporains d’Haroun-al-Raschid, qui ont vécu un siècle plus tard. On ne sait rien de précis sur sa vie et on lui attribue des centaines d’ouvrages, ou de mémoires, dont j’ai reproduit ailleurs la longue liste, traduite du Kitab-al-Fihrist. Plus d’un de ces ouvrages est dû en réalité à ses disciples, ou à ses imitateurs. Quoi qu’il en soit, Geber avait écrit sur toutes sortes de sujets et sa réputation domine celle des autres alchimistes : Rasès et Avicenne le déclarent le maître des maîtres. Sa réputation a grandi pendant le moyen âge latin, et Cardan le proclamait, au xvie siècle, l’un des douze génies les plus subtils du monde. — Or l’étude directe des œuvres arabes de Geber ne justifie que bien imparfaitement cet enthousiasme. Sans doute elles com-