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pour empêcher ou du moins pour retarder l’accomplissement des alliances par les mariages espagnols.

Rohan, avec la netteté et la sûreté de vue d’un politique et d’un véritable homme d’action, ne partageait pas ces illusions. « La reine aura, dans les états, plus de crédit que vous, disait-il à Condé ; ceux sur qui vous comptez maintenant vous abandonneront au lieu de vous soutenir. La crainte et l’espérance sont les deux grands ressorts qui font agir les membres de ces assemblées. Vous n’êtes pas en état de leur promettre de grands avantages ni de les enrayer par des menaces. La reine a des emplois et des charges à distribuer. Elle peut faire beaucoup de mal à ceux qui s’opposent à ses volontés. Qui voudra se déclarer hautement pour vous contre Sa Majesté ? Soyez persuadé, monsieur, que les États-Généraux vous seront contraires. »

Les prévisions de Rohan se réalisèrent. Le gouvernement, comme nous l’avons vu, avait usé et abusé de la pression officielle. Ces manœuvres avaient pleinement réussi. Dès les premiers jours, on s’aperçut que le parti des princes était battu. Les pamphlétaires redoublèrent leurs attaques. Ils disaient que les élections de la noblesse et du clergé avaient été « trafiquées » et que « la chambre du tiers était la seule qui fût saine dans les États. » En effet, quoique cette chambre fût composée, plus que dans aucune autre assemblée, de magistrats et de fonctionnaires, gens de naturel ordinairement docile, il y avait, parmi ses membres, assez d’esprits indépendans et de cœurs chauds pour que le gouvernement en conçût quelque inquiétude.

Toute l’habileté des ministres devait donc s’employer à amortir ou du moins à modérer les ardeurs du tiers, à séparer la cause de l’opposition bourgeoise de celle des princes, et enfin à traîner les choses en longueur, pour lasser les convictions les plans vaillantes. Ils réussirent, en s’assurant, par des promesses et des pensions, la neutralité bienveillante de la noblesse, et, par des concessions importantes en matière religieuse, le concours actif du cierge. Celui-ci était appelé à jouer, dans les délibérations, un rôle important. Toutes les circonstances ambiantes, la tournure des esprits, la politique de la cour, la valeur relative de ses membres, devaient le lui assurer.

De tout temps, les matières religieuses ont compté, en France, parmi les ressorts les plus délicats et les plus puissans de la politique. Ceux qui ne sont pas imbus de cette maxime sont indignes de toucher au gouvernement d’une nation éminemment idéaliste et qui a souvent sacrifié ses intérêts à ses aspirations ou à ses rêves. Dans les États de 1614, ce furent encore les questions de cet ordre qui passèrent au premier plan.