Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/480

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des avantages plus ou moins sérieux, avait obtenues de l’Allemagne. La Russie offrait à sa voisine le traitement le plus favorisé dans l’empire, à condition que l’Allemagne appliquât de son côté le même traitement à la Russie.

En présence du peu de bon vouloir que semblait témoigner M. de Caprivi, qui ajournait au mois d’octobre la conférence où devaient être reprises les négociations, tandis que le gouvernement du tsar aurait désiré au contraire les poursuivre avec activité, le ministre des finances de Pétersbourg, M. Witte, détermina son souverain, à la fin du mois de juin, à appliquer aux produits allemands le tarif maximum, le seul auquel puissent avoir droit les pays qui n’ont pas de traités avec la Russie. Comme ce tarif comportait des majorations de 20 à 30 pour 100 sur les taxes en vigueur, l’Allemagne se montra très froissée de la mesure, d’autant plus que par une coïncidence, d’ailleurs fortuite, au moment même où les négociations étaient rompues entre elle et la Russie, cette dernière signait avec la France le traité que notre parlement approuvait à la fin de sa session.

Sous l’influence de ces sentimens, le Bundesrath édicta au mois de juillet, à titre de représailles, qu’un droit supplémentaire de 50 pour 100 serait imposé aux principaux articles d’exportation russes, à leur entrée en Allemagne. Du côté russe on répondit à cette décision par une nouvelle surtaxe et par un traitement différentiel des navires portant le pavillon allemand. On aura une idée de ce régime de prohibition réciproque, fonctionnant depuis le 1er août dernier, par ce fait que les provenances allemandes acquittent, en Russie, des droits supérieurs de 80 à 130 pour 100 à ceux des marchandises françaises ; et que 100 kilogrammes de blé ou de seigle russe, entrant en Allemagne, devraient payer une taxe de près de 10 francs. Chacun des deux pays se flatte que son voisin sera plus fortement atteint que lui par cette guerre douanière ; tout porte à croire cependant que leur calcul sera déjoué par la mobilité du commerce, et que le préjudice mutuel ne sera pas ce que l’on espère ou ce que l’on craint.

La Russie dirigera ses grains sur la Belgique, la Hollande, le Danemark, l’Angleterre et la Roumanie, où ils entrèrent en franchise et se substitueront sur le marché aux céréales indigènes qui seront à leur tour déversées sur l’Allemagne ; ce mouvement profitera à la marine marchande de l’Europe du nord. Une autre voie est ouverte à la Russie pour son exportation de blé et de seigle : celle de l’Autriche, où la taxe n’est que de 3 fr. 75 par quintal métrique, et où ces marchandises accéderont d’autant plus aisément qu’un ukase a réduit de 40 pour 100 les tarifs des chemins de fer russes à destination des frontières autrichiennes. Les lignes autrichiennes, de leur côté, réduisent considérablement leurs tarifs pour les grains dirigés sur la Suisse et l’Italie. Quoique le cabinet de Berlin se soit plaint avec une certaine aigreur des