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loin d’avoir tous les défauts et dont ils n’ont certes pas les préjugés. Dans les jugemens qu’ils portent parfois sur les choses et les gens, ce n’est pas l’orgueil de race que l’on reconnaît, mais simplement les préoccupations du patron qui se plaint de l’élévation des salaires, de l’indocilité des travailleurs et de leur rareté, et dont le grand grief à l’égard des institutions est qu’elles ont fait passer le pouvoir aux mains du plus grand nombre. Les usiniers ont le sentiment que, sans eux, il n’y aurait plus ni Guadeloupe ni Martinique. Ils le disent fréquemment et ils s’étonnent de payer les impôts les plus lourds. La plupart d’entre eux ne séjournent aux colonies que pendant la campagne industrielle, de décembre à avril, et l’absentéisme n’est pas fait pour rapprocher les travailleurs de ceux qui les emploient. C’est à Paris que l’on a le plus de chances de rencontrer les usiniers et de les entendre demander que les budgets de la Martinique et de la Guadeloupe, qui les accablent, soient révisés par la chambre et par le sénat, que les pouvoirs des conseils-généraux soient réduits, et que les fonctionnaires soient moins enclins à se mêler de politique.

Ces pauvres fonctionnaires, ils ont leur place, avec les troupes, dans la vie sociale aux Antilles ! On les aime généralement, mais on a la faiblesse quelquefois de leur reprocher de n’être point nés dans la colonie. Ceux qui parviennent à échapper aux exigences des politiciens, des braves gens qui détiennent un mandat quelconque, mènent une vie paisible et honorée. À ceux qui savent ménager sa susceptibilité native, le créole se révèle cordial et généreux, obligeant, hospitalier, très tendre et sachant se donner. Mais, voilà, il y a la politique…

Il y a aussi le clergé. Nulle part, en France, les habitudes religieuses ne sont aussi développées qu’à la Guadeloupe et à la Martinique, et nulle part, peut-être, les ministres du culte, environnés de l’universelle déférence, ne sont aussi indifférens à la politique. C’est une habileté et c’est aussi une force. Aux Antilles, on est un peu dévot à la mode espagnole ; les hommes comme les femmes y mettent de l’exagération. Aux processions solennelles, on voit des conseillers privés, en bon rang, édifier les passans par leur posture et l’air de leur visage. Dans les communes rurales, le maire consulte le curé avant de consulter le directeur de l’intérieur. Nulle en politique, l’influence du clergé est considérable dans la famille. Il travaille à en répandre le respect et l’amour. L’ennemi, c’est le concubinage, le concubinage successif, avec les naissances illégitimes, les abandons, et la prostitution au bout. Le prêtre exerce une police et une censure de tous les instans sur les corps et sur les âmes. Par-là, il concourt à