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beauté a disparu pour l’œil des indifférens, il reste encore, pour ceux qui vivent près d’une femme et qui l’aiment, une grâce morale, une beauté d’expression que les années ne sauraient flétrir. Dans une de ses nobles et profondes poésies, Au reflet du foyer, l’auteur des Vers d’un philosophe nous montre une femme debout au seuil de sa maison, qui attend son mari, les yeux sur le chemin, éclairée par un feu flambant dans l’âtre. Blanche sous le ciel noir, toute droite, cette femme semblait merveilleusement belle ; en s’approchant, le poète vit qu’elle était âgée, mais que les rayons du loyer domestique la transformaient aux regards :


Telle, pensai-je alors, m’apparaît cette femme,
Telle à celui qui l’aime elle apparaît toujours :
Sur elle il voit encore errer comme une flamme
Le reflet immortel de leurs premiers amours.
Il regarde ses traits à travers sa pensée…
Après tout, la beauté n’est que dans l’œil qui voit,
Et lorsqu’elle pâlit, c’est que l’amour décroît.


Quand l’homme et la femme se sont longtemps aimés, leur passé lointain luit encore sur eux :


De leur jeunesse à deux un rayon tombe et dore,
Comme une aube sans fin, leurs fronts transfigurés[1].


VI

Nous avons vu quelle profonde différence de constitution et de tempérament, soit physique, soit morale, se manifeste entre les sexes dès le début de la vie. M. Geddes fait observer que les organismes qui ne sont point sexuels, comme les bactéries, n’occupent pas de place élevée dans l’ordre de la nature. Quant à la parthénogenèse, fût-elle un idéal organique, cet idéal a manqué à se réaliser[2]. Au lieu de faire des rêves sur ce qui aurait pu se produire, utilisons ce qui s’est produit et ne prétendons pas annuler le résultat d’une évolution de quelques millions d’années. La dissemblance entre les sexes ne peut ni ne doit être supprimée par le progrès des institutions et des mœurs ; loin de là, dans les organismes supérieurs et dans les sociétés supérieures, la division des fonctions ne fait que s’accuser davantage. C’est contrevenir à cette loi que de se flatter d’établir entre les sexes une identité de nature impossible, au lieu d’établir entre eux une croissante équivalence

  1. Guyau, Vers d’un philosophe, p. 85.
  2. Au reste, loin d’être un idéal, il est aujourd’hui prouvé que la parthénogenèse est une reproduction sexuelle dégénérée.