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l’exercerait-elle pas tout d’abord sur ce qui lui donne du prix et la fait aimer ? Parmi ses vertus natives, il faut donc placer ce que nous appellerions volontiers l’esthétique personnelle, c’est-à-dire le culte de la beauté dans sa personne, — beauté qui est d’ailleurs un héritage précieux à conserver pour l’espèce. Il y a pareillement, selon nous, un élément esthétique dans ce sentiment féminin par excellence, replié sur soi et s’enveloppant de mystère : la pudeur. C’est le respect physique de soi-même, et c’est aussi le sens de l’idéal se mêlant aux réalités les plus grossières. Il ennoblit l’amour de la femme, il excite l’homme à ennoblir et à idéaliser son amour.

Selon Spencer, la tendresse des mères pour leurs enfans (et même celle des pères), considérée dans son essence, serait l’amour du faible. Nous ne saurions l’admettre. Aimer son enfant, c’est d’abord aimer un prolongement de sa propre individualité ; c’est aussi aimer l’espèce entière dans un être qui la représente ; c’est enfin et surtout aimer l’enfant lui-même, pour l’homme qu’il sera un jour et dont il offre déjà l’ébauche. Et si l’amour pour l’enfant est plus profond encore chez la femme que chez l’homme, c’est que la femme a non-seulement conçu son enfant, mais encore l’a nourri de son sang, puis de son lait ; elle se reconnaît donc en lui davantage. De plus, la tendance générale de son caractère à représenter l’espèce en sa croissance ininterrompue, avec la suite sans fin des générations toujours alimentées aux mêmes sources, lui fait mieux pressentir et entrevoir dans son enfant la grande famille humaine.

À en croire Schopenhauer, ce qui rend les femmes particulièrement aptes à soigner et à élever notre première enfance, c’est qu’elles sont elles-mêmes puériles, futiles et bornées : « elles demeurent toute leur vie de grands enfans. » — Pure boutade. Si la mère est la meilleure des éducatrices, ce n’est pas parce qu’elle est un enfant, mais parce qu’elle est une mère, c’est-à-dire parce qu’elle aime et qu’elle est prête à tous les sacrifices. Chacun connaît les statistiques qui démontrent l’énorme mortalité des enfans élevés par d’autres personnes que leurs mères. C’est que les mères seules sont capables de s’oublier elles-mêmes : le dévoûment est pour elles non pas une « seconde nature, » mais la première. Et ce ne sont pas seulement les soins matériels que seule la mère peut donner : seule aussi elle est apte à la première éducation intellectuelle et morale de l’enfant. Sa parole, son exemple sont le meilleur des enseignemens pour un âge où domine l’instinct imitateur. Plus juste et plus profond que Schopenhauer, Kant ne cessait de répéter dans sa vieillesse : « Je n’oublierai jamais que c’est ma mère qui a fait germer le bien qui peut se trouver dans mon âme. » Quant à