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« affleuremens de la constitution masculine[1]. » Par exemple, le pigment coloré étant un produit de désassimilation et de combustion, sorte de cendre brillante, une plus grande richesse de coloris ne fait que manifester une activité prédominante des échanges chimiques, aboutissant à une désassimilation intense. Les couleurs brillantes sont donc, d’ordinaire, le tempérament devenu visible. Dans un sens littéral, dit M. Geddes, « c’est pour la cendre que les animaux se parent de beauté, » et les mâles le font davantage parce qu’ils sont mâles, non par aucune autre raison. D’où suit cet apparent paradoxe, ou plutôt cette vérité profonde, que tous les caractères sexuels appelés secondaires sont, au fond, primaires, puisqu’ils expriment le même tempérament général qui, dans un cas, a eu pour résultat la production des élémens masculins, dans l’autre, celle des élémens féminins. Chez les lucioles, les lueurs semblent d’abord de couleur identique et d’intensité à peu près égale ; cependant, avec plus d’attention, on reconnaît que la lueur jetée par le mâle est plus intense, et surtout que le rythme de la lumière est plus rapide, les éclairs plus courts ; chez la femelle, la lumière est plus durable, les éclairs plus éloignés et plus vacillans. Vous avez là l’indication sensible des contrastes que présente la physiologie des deux sexes.

Lorsque les sexes se sont différenciés, chacun d’eux a eu sa fonction dominante. Le sexe féminin a représenté principalement la conservation de l’espèce et de sa structure typique, qu’il a été spécialement chargé de perpétuer. L’autre sexe a représenté surtout les forces de changement. Toute variation commence par être individuelle : elle est une originalité, une excentricité de l’individu par rapport à l’espèce ; elle suppose un écart du type, donc un mouvement plus actif et plus personnel de la vie, une transformation de l’énergie en formes ou en actions nouvelles. Là où domine l’activité de dépense, les permutations de molécules qui constituent ce que les physiologistes appellent une « variation d’organes ou de fonctions » sont nécessairement plus probables ; elles le sont moins chez les femelles passives et au repos. De fait, l’expérience prouve que les mâles sont plus novateurs et plus inventeurs, soit au physique, par la plus grande variation de leurs formes, soit au moral, par la plus grande variation de leurs idées et de leurs sentimens. Il en résulte une conséquence très importante pour l’évolution des espèces. Ce sont les mâles qui ont eu le rôle d’introduire et de transmettre à la descendance la majorité des variations. L’étude des pigeons domestiques, par exemple, montre, d’après les expériences de Brooks, que le mâle a le pas sur la femelle pour déterminer la production

  1. Geddes et Thomson, Evolution du sexe.