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l’œuf en traversant des milieux qui seraient nuisibles à celui-ci, ou d’attendre, dans des circonstances parfois défavorables, que l’œuf ait atteint sa maturité. Suivant Rolph, cet « affamé, » recherche l’œuf, grand et bien nourri, dans le dessein de la conjugaison : — « dessein pour lequel l’œuf, précisément parce qu’il est plus grand et mieux alimenté, a pour sa part moins d’inclination. » L’initiative vient donc de l’élément masculin, qui, de plus, dans les diverses espèces, est beaucoup plus nombreux. Ces faits, presque aussi vieux que la terre, font pressentir bien des différences entre les caractères masculin et féminin. C’est déjà la force motrice, l’activité entreprenante et la recherche aventureuse qui caractérisent l’élément masculin, ce qui suppose bien que la vie a pris ici la direction de la dépense extérieure, non de l’accumulation interne.

Aussi voyons-nous qu’une nourriture insuffisante, en déterminant cette direction dépensière de la vie, tend à produire des individus du sexe masculin. La nutrition est un des facteurs les plus importans pour déterminer le sexe ; et bien loin que le sexe féminin résulte d’un arrêt de développement, ce sont au contraire les conditions nutritives les plus favorables qui le déterminent[1].

En résumé, au seuil même de la vie animale et végétale, nous voyons qu’une petite cellule active, incomplète, incapable de se développer seule avec son demi-noyau, s’associe à une cellule

  1. Comme exemples, il faut noter les curieuses expériences de Yung sur les têtards, qui, au moyen d’une bonne nourriture, élevèrent la proportion des femelles de 56 à 92 pour 100 ; — le cas typique des abeilles, qui, durant les huit premiers jours de la vie larvaire, par l’addition d’un peu de nourriture et d’une quantité double de corps gras pour les larves de reines, décident des différences si marquantes qui sépareront la reine des ouvrières ; — les expériences de Siebold sur une espèce de guêpes, où augmenta la proportion des femelles du printemps au mois d’août, avec la chaleur et l’abondance de nourriture ; — les chenilles des phalènes et des papillons devenant mâles quand elles sont soumises à la faim ; — les expériences de Girou sur trois cents brebis, dont la moitié, bien nourrie, donna une grande proportion d’agneaux femelles ; l’autre, maigrement nourrie, une grande proportion de mâles ; — enfin, les pucerons de nos rosiers et arbres fruitiers, qui, dans la prospérité de l’été, donnent une succession de femelles capables de se reproduire par parthénogenèse, tandis qu’avec le froid et la disette de l’automne, les mâles reviennent. Dans la « génération alternante, » tour à tour asexuelle et sexuelle, les conditions nutritives favorables déterminent la première, tandis que la seconde se produit dans des conditions moins propices. L’alternance des générations n’est, au fond, qu’un rythme entre la prépondérance de l’intégration et de la désintégration. Dans l’humanité, après une épidémie ou une guerre, les naissances masculines augmentent ; le nombre des garçons varie, d’après Düsing, selon les récoltes et les prix. Le nombre des naissances de garçons est plus grand dans les pays pauvres que dans les pays riches et dans les villes. — Enfin, dans les deux tiers des grossesses doubles, les jumeaux, obligés de se disputer la nourriture, sont du sexe masculin.