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masse élémentaire du protoplasme, devenant trop grosse, se brise ; de la sorte, elle se sauve et se multiplie tout à la fois.

Tant que dura ce mode de reproduction par simple division, il n’y avait guère de progrès possible : le nouvel être n’était qu’un morceau du générateur, qui en reproduisait forcément les particularités. De nos jours, les jardiniers veulent-ils conserver intacte une variété de plante remarquable, ils n’ont pas recours à la reproduction sexuelle par graines, qui mélangerait les caractères de la plante élue à ceux des plantes ordinaires ; ils ont recours à la reproduction asexuelle par bouture, qui donne des sujets identiques au pied dont ils sont sortis[1]. Les combinaisons nouvelles, les sélections de toutes sortes, les variations et les progrès ont été introduits par la séparation des sexes. Si les lettres de l’alphabet se reproduisaient par simple division, l’a produirait des a, le b produirait des b ; mais, sans mariages de lettres, on n’obtiendrait jamais l’Iliade ou l’Odyssée.

Pour entrevoir comment la séparation des sexes a pu se produire, il faut se rappeler que chacune des deux grandes fonctions de la vie, nutrition et reproduction, implique, au sein même du tissu vivant, des changemens de deux sortes et en sens inverse, les uns intégrateurs et les autres désintégrateurs, les premiers constituant une recette, les autres une dépense[2]. Ce sont les deux oscillations du pendule de la vie. Dans la nutrition, il y a d’abord recette ou assimilation, puis dépense ou désassimilation, et selon qu’un des courans l’emporte, on a un tempérament d’épargne ou un tempérament dépensier ; l’un où prévaut la montée de la vie, l’autre où prévaut la direction descendante qui aboutit à l’activité musculaire ou cérébrale. Pour la reproduction de l’espèce, il est également nécessaire, d’une part, d’accumuler les matériaux de l’existence destinée à un autre être ; d’autre part, de les séparer de soi et de faire ainsi une dépense de sa propre substance au profit d’autrui. Mais ces deux fonctions, quoique solidaires, peuvent être cependant en proportions diverses, et c’est, d’après l’hypothèse la plus probable, ce qui a produit la distinction des sexes, entre lesquelles elles se sont partagées.

M. Geddes suppose, dans une cellule analogue aux amibes, et qui présentait d’abord l’équilibre du revenu et de la dépense, un excédent prolongé des changemens assimilatifs sur les désassimilatifs ; le résultat sera nécessairement une croissance de volume, une réduction d’énergie actuelle et de mouvement, une augmentation

  1. Voir Koehler, Pourquoi ressemblons-nous à nos parens ? (Revue philosophique d’avril 1893.)
  2. Voir la Revue du 15 juillet.