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arcade, de chaque bouche du monstre, la plainte du vent glissant sous les galeries, à travers la forêt sauvage et les hautes ronces des gradins ; quelque part, à l’étage du milieu, une lueur rousse marquait d’une tache immobile la draperie mortuaire qui pendait sur les flancs du cirque.

« Chauffez-vous et mettez-vous en joie, coupeurs de bourses, mes chers amis, murmura l’homme ; un de ces soirs, j’irai vous demander à souper. Aujourd’hui, c’est ailleurs que j’ai affaire. »

Et il reprit sa marche vers les Camaldules, sur la pente du Cœlius, puis fît un coude du côté de Saint-Jean-le-Rond. Il retrouva comme à tâtons le mur de Servius Tullius et finit par entrevoir, droite, au milieu du chemin, la tour solitaire des Saints-Jean et Paul. Il frappa du pommeau de son poignard à la porte du jardinet qui donne accès à cette tour. Un enfant vint ouvrir.

— Déodat ? interrogea le visiteur.

— Il vous attend, messire, répondit l’enfant.

L’homme gravit l’escalier de la tour et entra dans une chambre voûtée, d’aspect fort austère, où veillait un prêtre. Il rejeta manteau et capuchon et parut revêtu, de la tête aux pieds, d’une armure de mailles, la barbe dure et courte, les yeux méchans, la face brutale. La figure du prêtre était fine et altière ; son regard sombre, coupé par de rapides éclairs, témoignait d’un orgueil inflexible, et sa bouche tourmentée, aux lèvres minces, révélait l’amertume d’une vie tragique.

Sur une table, dans un coin de la chambre, étaient amoncelés des livres de mine assez suspecte ; l’un d’eux, un vrai grimoire diabolique, largement ouvert, laissait voir, sur le parchemin jauni, des images bizarres, entremêlées de lignes géométriques et de calculs en chiffres arabes. À la muraille pendait un grand christ d’ivoire, transpercé, à l’endroit du cœur, d’une aiguille d’acier. C’était un christ envoûté, invention originale de Déodat. Ce personnage équivoque touchait à la vieillesse. Jadis, archidiacre de l’église de Porto et sur le point de recevoir de Léon IX un évêché, Hildebrand l’avait fait dégrader pour crime de simonie. Il était revenu à Rome se cacher dans la foule des prêtres sacrilèges que les barons protégeaient contre la haute police pontificale. Il fabriquait toujours des fausses bulles, pour vivre ; et, pour se divertir, dans sa tour farouche du Cœlius, il pratiquait la magie et sollicitait le démon de lui tenir compagnie.

Le visiteur approcha un escabeau d’un brasero allumé au milieu de la cellule et s’assit sans parler. Déodat s’accouda tranquillement sur son grimoire et dit, avec un sourire moqueur :

— Il t’a donc chassé, comme un chien enragé, de ton meilleur