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sous les foudres de l’obscurantisme, les aboiemens fous des mystiques, les appels des politiques à la cléricaillerie et à l’État, qu’ils veulent transformer en police, pendant que la théologie et la théosophie se précipitent sur les sciences et cherchent à les étouffer sous leurs embrassemens. »

Après nous avoir montré la façon toute particulière dont il comprend, malgré les promesses plus vastes de son titre, l’ouvrage entrepris, M. Brandes nous le résume tout de suite en quelques mots : — « Quiconque étudie les principaux courans de la littérature pendant la première moitié de ce siècle, dit-il, s’aperçoit aussitôt que tous ces courans peuvent se ramener à une sorte de reflux et de flux, dont l’un entraîne et éloigne, jusqu’à le faire presque disparaître, tout ce qui fut l’esprit et l’âme du XVIIIe siècle, et dont l’autre ramène, en vagues toujours grandissantes, les grandes idées de progrès religieux, politique et social. » — M. Brandes ajoute : — « Le sujet fondamental de mon œuvre est donc l’étude de la réaction qui se produisit pendant les vingt ou trente premières années de notre siècle contre la littérature et l’esprit du XVIIIe siècle, et de la victoire remportée ensuite contre cette réaction. » — Qui ne s’aperçoit immédiatement que c’est là la façon dont un sectaire, ou encore un doctrinaire, dirons-nous avec plus de déférence, annoncerait le sujet de l’œuvre entreprise ? Car un savant, un véritable historien et critique littéraire, s’il voulait donner, même dans une préface, le résumé de son œuvre, indiquerait seulement que telles ou telles ont été ses conclusions, mais sans avancer a priori une assertion qui ne peut acquérir de valeur que si elle ressort par elle-même de l’œuvre tout entière. Et si M. Brandes avait ainsi agi, nous ne lui dénierions pas la première et la plus importante qualité du critique et de l’historien, qui est l’examen impartial des élémens choisis, sans préoccupation de la fin ni des conclusions où cela pourra mener. Cette justice que nous aimerions pouvoir lui rendre ne nous empêcherait d’ailleurs pas de nous inscrire contre ce qu’il appelle ainsi le sujet fondamental de son œuvre, car cette idée de reflux et de flux, emmenant et ramenant l’esprit du XVIIIe siècle, ne nous paraît pas correspondre à la réalité ; et que M. Brandes en fasse les prémisses ou la conclusion de son œuvre, nous croyons qu’il est dans l’erreur.

Si M. Brandes nous avait donné cette idée comme une conclusion, nous aurions à chercher dans ses livres mêmes par quoi il a pu être amené à penser ainsi, et par où son raisonnement aurait péché. Mais puisqu’il nous donne tout d’abord cette idée comme une ligne directrice, nous nous contenterons d’observer qu’il se fait une idée un peu confuse et un peu étroite de ce qui assure au XVIIIe siècle une importance considérable dans l’histoire littéraire. L’admiration que professe M. Brandes pour la littérature du