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intention, dit-il, est celle-ci : par l’étude de certains groupes principaux, de certains grands mouvemens dans la littérature de l’Europe, donner une esquisse de la psychologie de la première moitié de ce siècle. »

C’est nous qui avons souligné le mot « certains. » M. Brandes a-t-il si peu de souffle que, dès la première phrase, il renonce à la grande étude que son titre nous avait fait espérer ? Mais passons, car la suite de la phrase nous paraît encore plus significative. Établir une psychologie de la première moitié de ce siècle ? C’est là aussi une tâche considérable à laquelle l’étude des littératures peut évidemment et doit même apporter un concours précieux ; mais il n’est pas même besoin d’insister pour montrer que si l’on prétend établir la psychologie d’une époque, il faut encore soumettre à l’analyse bien d’autres élémens que les littératures. M. Brandes s’en est tenu aux littératures ; et ce ne sont pas, si nombreux soient-ils, les chapitres interminables dont il a parsemé son œuvre sur la situation politique, religieuse et sociale, des trois grands pays qu’il étudie, à diverses dates entre 1800 et 1848, ce ne sont pas ces chapitres, disons-nous, qui suppléent à ce que l’ensemble de l’œuvre, considérée du point de vue où elle est annoncée, a d’absolument insuffisant et incomplet. Au surplus, ces chapitres intermédiaires ne sont guère que des déclamations de libre penseur, des apostrophes naïves de matérialiste et d’athée militant contre toute religion, des manifestes de politicien radical.

Au reste, voici quelques phrases prises au hasard dans ces chapitres dont nous parlons et qui suffiront à donner une idée du ton adopté par M. Brandes : — « L’année 1848, dit-il, a une importance intellectuelle décisive. À partir de cette date, en Europe, on sent, en pense et on écrit autrement qu’auparavant. » — M. Brandes ne nous explique d’ailleurs pas bien nettement en quoi consistent ces différences : — « L’année 1848, continue-t-il, c’est la ligne rouge de séparation qui coupe le siècle en deux. C’est une année où le pouls des nations bat plus vite, une année de rajeunissement, une année de joie, comme l’étaient les jubilés hébraïques, où tout se rachetait, où ceux qui avaient été vendus recouvraient leur liberté. » — À un autre endroit, il écrit : — « L’année 1848 approchait, et déjà on entendait les sourds grondemens de son tonnerre purificateur ! Et elle vint enfin, cette année désirée, où il y eut comme un frisson de toute la terre, car ce fut l’année des combats héroïques et de la libération des peuples. » — Veut-on maintenant un exemple de la manière dont il parle de l’esprit réactionnaire ? Nous lisons au chapitre où il expose la situation politique en Allemagne après 1815 : — « Cette période romantique finit comme un vrai sabbat de sorcières, où les philosophes jouent le rôle des vieilles gourgandines,