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rité grandit encore après la conquête de la Syrie par les Arabes, conquête rendue plus facile par l’assentiment des indigènes. Les califes abbassides les recherchaient, à cause de leur habileté médicale ; ils les employaient comme ingénieurs, astrologues, trésoriers, et leur donnaient des villes et des provinces à gouverner. Ils avaient toute confiance dans ces personnages étrangers aux populations et que leur religion, aussi bien que leur inaptitude à exercer un commandement militaire, rendaient incapables d’avoir une influence indépendante de celle de leurs protecteurs. Ainsi firent les califes, depuis Al-Mansour, Haroun-al-Raschid, Al-Mamoun, jusqu’à Al-Moutawakkil, non sans être accusés plus d’une fois d’incroyance et d’hérésie par les musulmans rigides. Bagdad devint le siège d’écoles importantes et de bibliothèques, alimentées par les achats et les conquêtes des califes.

Citons quelques exemples de ces carrières de savans syriaques. Honein-ben-Ishak (809-877) était célèbre par sa science médicale. Al-Moutawakkil lui demanda de composer un poison pour se débarrasser d’un ennemi : le médecin ayant refusé, il fut mis en prison et y resta un an. Mais, au bout de ce temps, le calife, convaincu de sa vertu, lui donna toute sa confiance.

C’est là une histoire qui s’est souvent reproduite en Orient, même de nos jours. Le serment d’Hippocrate imposait précisément aux médecins l’interdiction de livrer du poison, dès les temps florissans de la Grèce, et Palgrave fait un récit analogue au précédent, dans son voyage en Arabie, en même temps qu’il nous apprend l’estime où les médecins syriens y sont encore tenus de nos jours.

Ishak profita de sa faveur pour développer la culture scientifique, telle qu’il l’entendait. Il se fit nommer président de la commission chargée de traduire les ouvrages des Grecs ; les unes de ces traductions étaient nouvelles, les autres, de simples révisions des traductions antérieures. Ces traductions avaient lieu soit en langue syriaque, soit en langue arabe. Elles comprirent : Euclide, Archimède, Hippocrate, Dioscoride, Galien, Aristote, Alexandre d’Aphrodisie, etc. Le fils et le neveu d’Ishak, confondus parfois avec lui, poursuivirent cette œuvre.

Ainsi s’accomplit autour des califes abbassides, du viiie au xe siècle, un travail de compilation et de résumé de la science antique, parallèle à celui qui avait lieu à la même époque à Constantinople, et qui a donné naissance, entre autres, aux collections de Constantin Porphyrogénète. Telle est aussi l’origine de la collection des alchimistes grecs, qui se trouve dans les principales bibliothèques d’Europe et que j’ai publiée il y a cinq ans ; telle est celle des alchimistes syriaques, conservée en manuscrits à Londres et à Cambridge, et que je viens également de publier, avec le pré-