Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/333

Cette page a été validée par deux contributeurs.
327
LA CHIMIE DANS L’ANTIQUITÉ.

par eux, et cette tradition a traversé tout le moyen âge. Telle est l’origine de ces prétendus plats et objets d’émeraude, de grande dimension et d’un prix jugé autrefois inestimable, qui sont encore conservés dans les trésors de certaines églises. La croyance à ces fabrications a duré, jusqu’au jour où la chimie moderne dévoila les antiques artifices : c’est seulement de nos jours et depuis un demi-siècle que les pierres précieuses naturelles ont été reproduites avec leur composition véritable et leurs propriétés identiques.

Les alchimistes teignaient également les étoffes, et la précieuse teinture en pourpre, réservée aux souverains et aux dieux, était assimilée par eux à la teinture dorée des métaux. Dans un cas comme dans l’autre, une trace de matière colorante, incorporée à une grande masse de matière susceptible de teinture, lui communique dans toutes ses parties sa couleur, en s’incorporant à elle, pour engendrer un tout réputé homogène.

Tels étaient les faits observés et les idées régnantes en chimie vers la fin de l’empire romain. Nous allons voir comment la connaissance de ces faits et de ces théories s’est maintenue et propagée pendant le cours du moyen âge.


II. — L’ALCHIMIE OCCIDENTALE AVANT LES ARABES.

Deux voies ont été suivies dans la transmission de la science antique : la voie pratique et professionnelle et la voie théorique et générale. En effet, la civilisation et l’empire romain, qui en était le représentant, ne se sont pas évanouis tout d’un coup, dans un cataclysme qui anéantit à la fois les hommes et les institutions. De pareilles aventures sont rares dans l’histoire ; quoique l’extermination complète de certaines populations, dans les invasions mongoles par exemple, ait pu faire disparaître brusquement certaines races et leurs traditions. De même la destruction de Carthage par les Romains. Mais l’invasion barbare fut une opération multiple et collective, qui a duré trois siècles et substitué peu à peu à l’univers romain un monde plus confus, retenant d’innombrables débris des anciennes organisations. Les industries surtout ont survécu, à cause de leur nécessité. Au temps des Francs en Gaule, des Visigoths en Espagne, des Lombards en Italie, on a continué à travailler la pierre et les métaux, à fabriquer des ornemens et des bijoux, à teindre des étoffes, à inventer des engins pour la guerre, à préparer des remèdes pour les maladies. Si les esprits puissans et créateurs dans les divers arts ont cessé de se manifester dans un milieu où ils n’eussent rencontré ni l’éducation ni les moyens d’action indispensables, les fabricans et les artisans techniques n’en