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mesure, parce qu’il aurait voué à la mort et aux plus horribles supplices bien des familles. « Si mon armée, ajoute-t-il, a essuyé des pertes, c’est par la rigueur de la saison. » Autant il fut bref sur ce sujet, autant il s’étendit sur celui de la conspiration, a Des soldats timides et lâches, dit-il au sénat, perdent l’indépendance des nations ; mais des magistrats pusillanimes détruisent l’empire des lois, les droits du trône et l’ordre social même. Lorsque j’ai entrepris la régénération de la France, j’ai demandé à la Providence un nombre d’années déterminé. On détruit dans un moment, mais on ne peut réédifier sans le secours du temps. Le plus grand besoin de l’État est celui de magistrats courageux. Nos pères avaient pour cri : Le Roi est mort ! Vive le Roi ! Ce peu de mots contient les principaux avantages de la monarchie. Je crois avoir bien étudié l’esprit que mes peuples ont montré dans les derniers siècles, j’ai réfléchi à ce qui a été fait aux différentes époques de notre histoire. J’y penserai encore. »

Au Conseil d’État il répondit : « Si le peuple montre tant d’amour pour mon fils, c’est qu’il est convaincu, par sentiment, des bienfaits de la monarchie. » Puis venait un long morceau contre l’idéologie : « C’est à cette ténébreuse métaphysique qui, en recherchant avec subtilité les causes premières, veut sur cette base fonder la législation des peuples, au lieu d’approprier les lois à la connaissance du cœur humain et aux leçons de l’histoire, qu’il faut attribuer tous les malheurs qu’a éprouvés notre belle France. »

Ce qui apparaissait au milieu de tous ces discours, c’était la pensée qu’il avait suffi de répandre le bruit de sa mort pour faire oublier les droits de son fils. Voilà l’insulte pour laquelle il voulait une réparation éclatante ; il cherchait l’occasion de faire un exemple. Dans les récits minutieux qu’il avait entendus, il avait remarqué que le préfet de la Seine, demeuré libre, sans qu’aucun acte de violence ait été exercé sur sa personne, avait obéi aux conspirateurs, sans contester la légalité des actes qu’ils produisaient, reconnaissant de fait un gouvernement s’établissant sur les ruines du sien, méconnaissant les droits de son fils. Bien plus, il avait ordonné les préparatifs nécessaires pour recevoir à l’Hôtel de Ville les membres du nouveau gouvernement. Ce tort était irrémissible à ses yeux, et c’était à lui qu’il avait voulu faire allusion en prononçant ces paroles : « Les magistrats pusillanimes détruisent l’empire des lois, les droits du trône et l’ordre social même. » Mais M. Frochot était un de ses plus anciens serviteurs, un de ceux pour lesquels il avait toujours eu du goût ; sa réputation d’honnête homme était fort établie. Il fallait garder une certaine mesure dans la manière de le frapper ; il fallait en même temps que la punition