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de temps était déjà perdu ; il ne fallait plus compter sur les avantages de la nuit. Il était six heures et demie lorsqu’il se présenta à la Force, suivi d’une partie de la cohorte ; le reste marchait pour s’emparer de l’Hôtel de Ville. Le concierge de la prison, voyant une troupe militaire en bon ordre, commandée par un général en uniforme, n’éleva pas le moindre doute sur la légalité de sa mission et s’empressa de lui obéir.

Les généraux Lahorie et Guidal furent donc mis en liberté, ainsi qu’un sieur Boccheiampe, Corse de naissance, assez récemment amené à Paris, de Parme, où il avait été prisonnier d’État pendant de longues années ; le malheureux avait lui-même sollicité cette translation comme un moyen de faire mieux entendre sa justification, d’obtenir enfin sa liberté.

Le général Guidal, d’un caractère très violent, après plusieurs démêlés avec différens ministres de la guerre, avait été réformé, pour ses sentimens de haine contre Napoléon. Des propos menaçans, qu’il s’était permis depuis, en maintes occasions, avaient motivé la détention qu’il subissait. Malet l’avait connu pendant son séjour à la Force. Lahorie se fit attendre ; il était couché lorsqu’il fut averti, et mit assez de temps à se lever. Il ne paraît pas cependant qu’il eût conçu le moindre doute sur la vérité des faits qui lui étaient annoncés. À sa sortie de prison, il reçut le commandement d’un peloton avec l’ordre de se transporter à la préfecture de police, d’y arrêter le préfet, d’y installer à sa place le sieur Boutreux, qui se joignit à lui, revêtu d’une écharpe. Cette expédition faite, il devait continuer sa route jusqu’au ministère de la police, arrêter le ministre et le remplacer dans ses fonctions. Guidal et Boccheiampe eurent aussi chacun le commandement d’un peloton, avec mission d’appuyer, si besoin était, les opérations de Lahorie, avec instruction de se conformer dans tous les cas aux ordres qu’ils en recevraient. Malet, de son côté, se dirigea avec cent cinquante hommes, sur l’état-major de la division militaire, place Vendôme.

Il était plus de 7 heures quand Lahorie arriva à la préfecture de police. Je venais de quitter mon lit, lorsque j’entendis une grande rumeur dans les pièces qui précédaient ma chambre à coucher. Mon valet de chambre sortit pour en savoir la cause. Voyant une troupe armée, il chercha à l’arrêter, et défendit avec un admirable dévoûment la porte de ma chambre ; il fut jeté de côté, blessé à la jambe d’un coup de baïonnette. Je cherchais à gagner l’escalier qui donnait sur le jardin, lorsque je fus assailli par une troupe de soldats, conduits par un officier, qui me fit rentrer dans mon appartement, sans souffrir que ses gens exerçassent sur moi aucune violence. Cet officier, que je ne reconnus pas, était enveloppé d’un manteau ; le