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sur la distribution et l’emploi des troupes ; l’une était adressée au sieur Soulier, commandant la 10e cohorte, l’autre au sieur Rouff, commandant le 2e bataillon de la garde de Paris. La lettre au sieur Soulier annonçait sa promotion au grade de général de brigade et était accompagnée d’un bon de 100,000 francs, sur lequel devait être pris le paiement d’une haute solde aux soldats et de doubles appointemens aux officiers. Le général Malet, signataire de ces deux lettres, était censé les remettre à un général Lamotte, qui devait prendre le commandement des troupes et pourvoir à l’exécution de tous les ordres. Mais, en réalité, il n’y avait point de général Lamotte ; il se chargeait lui-même de porter ses dépêches. Le temps de faire toutes ces écritures, bien qu’elles fussent grossièrement fabriquées, prit une grande partie de la nuit. Une pluie abondante était survenue, rendant la marche des conjurés tort pénible ; la caserne de Popincourt, où se trouvait la 10e cohorte, était assez loin de la rue Saint-Gilles ; il était trois heures et demie lorsque Malet s’y présenta, accompagné de Râteau, qui remplissait auprès de lui les fonctions d’aide-de-camp. Le chef de la cohorte, Soulier, était dans son lit avec la fièvre. La nouvelle de la mort de l’empereur, jointe à son indisposition, bouleversa ses facultés ; il crut sans hésiter et sans vérification tout ce qui lui fut dit, ordonna de faire lecture du sénatus-consulte et de la proclamation, puis mit les troupes à la disposition du général. Le même succès attendait celui-ci à la caserne des Minimes, où se trouvait un bataillon de la garde de Paris, composé de six compagnies. Le colonel du régiment, nommé Rabbe, auquel on alla porter la nouvelle, ne fut pas moins crédule que le chef de la cohorte et envoya l’ordre d’obéir à toutes les réquisitions qui seraient faites. D’après ces réquisitions, les six compagnies devaient s’acheminer entre cinq et six heures du matin pour occuper la barrière Saint-Martin, la barrière de Vincennes, la préfecture de police, le quai Voltaire, la place de Grève et la place Royale, chacun de ces postes devant être occupé par une compagnie. Malet disposait donc de 1,200 soldats environ. Il avait réservé ceux de la cohorte pour soutenir et exécuter les coups de main auxquels il attachait le plus d’importance. Mais il lui fallait, pour diriger et faire servir utilement ses soldats, des hommes de résolution, en état de les bien commander ; or la prison de la Force renfermait deux généraux dont les sentimens bien connus lui promettaient une vigoureuse coopération. Cette prison se trouvait sur son chemin, en avançant dans la ville ; il résolut de les aller délivrer ; il se servit, auprès d’eux, du sénatus-consulte et leur confirma la nouvelle de la mort de l’empereur, toujours avec le même succès. Cependant beaucoup