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est au contraire, parmi toutes les nations catholiques, celle où l’idée de ce rétablissement rencontrerait le moins de chances d’être jamais appuyée. Nous avons eu au pouvoir, depuis 1871, des cabinets que leurs adversaires appelaient « cléricaux, » et qui, à coup sûr, étaient favorables à la religion ; un de leurs actes a été de rappeler l’Orénoque et toute leur politique a eu pour but de cimenter les bons rapports entre le royaume d’Italie et la république française. La disparition du pouvoir temporel de la papauté est un de ces faits que celles même parmi les âmes pieuses qui auraient refusé d’y prêter les mains, qui même se seraient opposées de toutes leurs forces à son accomplissement, considèrent aujourd’hui comme définitif, et, oserais-je l’ajouter, comme très profitable à la situation morale du souverain pontificat dans l’avenir. Aucune voix ne s’est élevée en France depuis vingt-trois ans, ni dans le parlement, ni dans la presse, pour en souhaiter le rétablissement par les armes, tandis qu’en Autriche et surtout en Allemagne un parti puissant, celui du centre, qui dispose de cent voix au Reichstag et avec lequel le gouvernement a dû, plus d’une fois, traiter de pair à pair, ne manque aucune occasion d’inscrire ouvertement cette révision de la Rome intangible parmi les revendications de son programme.

Aussi peut-on dire que ç’a été le triomphe diplomatique de M. de Bismarck, d’amener l’Italie à méconnaître ses véritables intérêts et à se créer des embarras pécuniaires, pour s’aliéner une puissance qui ne nourrit à son égard que les sentimens les plus amicaux. Un Italien du XVIe siècle, Agostino Chigi, le richissime banquier de Léon X, à la fin d’un dîner somptueux offert au pape, fit jeter ostensiblement dans le Tibre toute la vaisselle qui était en or ; mais elle tombait en réalité dans un grand filet tendu en cet endroit par ses ordres sur toute la largeur du fleuve. L’exemple est bon à méditer pour le gouvernement du roi Humbert : il peut y avoir intérêt parfois à jeter sa vaisselle par la fenêtre, seulement il faut savoir tendre un filet en bas. Aujourd’hui où la rente italienne, insuffisamment défendue par le marché de Berlin, s’affaisse, où le change monte à Rome dans des proportions que l’on espérait ne plus revoir, où le ministère Giolitti négocie à Paris une révision de la convention monétaire, dont il attend quelque soulagement pour la circulation intérieure des espèces dans le royaume, les bons rapports avec la France ne doivent pas sembler chose indifférente aux hommes d’État de Monte-Citorio.

Ces rapports cordiaux, il n’aurait dépendu que de nos voisins de les rétablir ; ils ont pu s’en convaincre lors des fêtes de Gênes et, plus récemment, à l’occasion du voyage du général Fabre, dont le bon accueil, lorsqu’il est allé représenter la France à l’inauguration de l’ossuaire de Palestro et aux fêtes anniversaires de Magenta, a eu chez