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prolétariat et l’égalisation des salaires, s’étaient à peine séparés depuis trois jours, lorsqu’un incident déplorable se produisait dans le sud de la France, à Aigues-Mortes, provoqué justement par des concurrences ouvrières, par une offre de travail étranger qui faisait baisser le prix du travail indigène. Que la querelle entre les ouvriers français et italiens, employés chaque année à cette époque, dans les salins du Midi, à la récolte du sel, ait eu pour motif accidentel quelques taquineries entre journaliers des deux nations, il n’en est pas moins vrai qu’entre eux la cause permanente et ancienne de l’hostilité est un antagonisme économique.

De pareilles scènes de sauvagerie ne peuvent qu’exciter partout l’indignation la plus vive, et c’est avec une véritable tristesse que l’on en reçut à Paris la nouvelle. À Rome et dans beaucoup de villes d’Italie, ce fut par une explosion de fureur contre la France que la population accueillit les premières dépêches. Sans attendre les détails de cette sanglante collision, qui enlevaient complètement à ces faits odieux le caractère politique que l’on affectait d’y attacher au-delà des Alpes, sans considérer que les Italiens avaient eu les premiers torts, que le sang français avait coulé le premier et que la conduite de nos compatriotes avait été un acte de vengeance, et non un acte de provocation, des manifestations violentes s’organisèrent aussitôt à Rome et se portèrent devant notre ambassade et devant les divers bâtimens occupés par la colonie officielle française, que les carabiniers eurent beaucoup de peine à protéger. Des scènes analogues, quoique moins graves, eurent lieu à Gênes, à Milan, à Messine.

Il est juste d’ajouter que la presque unanimité de la presse italienne refusa d’élever à la hauteur d’une querelle internationale une émeute toute locale ; il convient aussi de rendre hommage à la parfaite correction d’attitude du ministère Giolitti, qui a compris que les passions populaires ne devaient exercer aucune influence sur la direction de la politique. On a constaté d’ailleurs, dans ces démonstrations antifrançaises, la présence de l’élément révolutionnaire, à qui tout prétexte est bon pour exciter des troubles. Il semble néanmoins que, pour qu’une telle effervescence ait pu se produire, il faut qu’il existe en Italie, contre la France, une haine réelle qui saisit la première occasion de s’affirmer. C’est là un phénomène tout à fait inexplicable pour les Français, chez lesquels il n’existe aucune haine vis-à-vis de l’Italie, au contraire. Cette absence d’antipathie est si positive que la grosse opinion publique, de ce côté-ci des Alpes, ne parvient pas à comprendre les causes qui ont jeté et qui maintiennent l’Italie dans les bras de l’Allemagne.

On a dit que la principale de ces causes était la crainte de voir un jour rétablir par la France le pouvoir temporel du pape. Or la France