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la veille et leurs espérances de succès pour ne pas ressembler à une défaite. Beaucoup d’anciens électeurs conservateurs sont devenus des électeurs centre gauche ou opportunistes ; aucuns ou très peu d’électeurs opportunistes sont devenus des électeurs radicaux. Cette marche du pays vers une gauche de plus en plus avancée, sorte de course à l’abîme, que les adversaires de la république prophétisaient naguère au régime actuel, et que beaucoup d’étrangers n’étaient pas fâchés de prévoir pour la France, ne s’est donc pas réalisée. Impérialiste en 1870, la majorité de la nation était devenue orléano-légitimiste en 1871, pour avoir la paix et l’ordre ; l’assemblée nationale n’ayant pas trouvé de monarque qui consentît à régner aux conditions où l’on pouvait lui offrir le trône, et ayant fini par consolider la forme républicaine dans la constitution qu’elle avait promulguée et qui nous régit, le plus grand nombre des citoyens s’appliqua à confier désormais le pouvoir à des représentans qui s’engageaient à maintenir la république.

Mais, après s’être abandonnés à eux en 1877 et en 1881, une masse énorme d’électeurs n’hésitèrent pas, en 1885 et en 1889, à se détourner de leurs anciens mandataires, lorsqu’ils purent croire leurs intérêts matériels ou leurs convictions religieuses mises en péril par le progrès des opinions avancées. De sorte qu’il est impossible de méconnaître la volonté de la France, plusieurs fois signifiée par ses votes, de maintenir la république et de se garder des folies ou des aventures dans lesquelles une minorité turbulente voudrait l’entraîner.

Un parti qui n’a pas eu fort à se louer du dernier scrutin, nous devons le reconnaître, c’est celui des ralliés. Près de la moitié de ceux des députés de la dernière chambre, qui se présentaient sous cette étiquette, ont été battus par des républicains de nuance plus accentuée ou de date plus ancienne. Quant aux candidats nouveaux de cette catégorie, dont quelques-uns, à vrai dire, n’étaient pas des républicains extrêmement convaincus, il n’en a été nommé que deux et tout porte à croire qu’il n’en passera pas un grand nombre dimanche prochain. La raison en est bien simple : la plupart des ralliés représentaient des circonscriptions qui, de 1889 à 1893, étaient devenues républicaines ; il est même fort possible que le changement d’opinion des électeurs ait été pour quelque chose dans le changement d’opinion des candidats. Mais il est assez curieux d’observer que l’électeur, qui trouve tout naturel de modifier ses idées politiques, estime souvent extraordinaire que son élu en fasse autant. Pour un traitement nouveau, il lui faut un nouveau médecin, et, républicain de fraîche date lui-même, l’électeur préfère un vétéran du régime ou, du moins, un homme sans passé dans la vie publique, à un ancien conservateur récemment adapté à la forme présente. Les ralliés battus l’ont donc été quoique et non parce que ralliés ; ils ont trouvé leur défaite personnelle, et pour plusieurs