Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les conditions de leur milieu natal. Mais un conte ! Qu’il soit grec ou hindou ; qu’une fable soit de Pilpay ou d’Ésope ; qu’une légende soit arabe ou persane ! .. Que sait-on de plus quand on le sait ? À peu près autant que l’on en sait quand on sait que chou prend un x au pluriel, et que clou se contente d’un s. C’est la forme seule qui nous en intéresse, non le fond. Et pour la propagation des contes, elle ne commence d’offrir ou de prendre une importance réelle qu’au point précis où, toute question d’origine étant définitivement écartée, celle qui se pose est de savoir quelle conception du monde, de la vie, et de l’homme, ils expriment.


III

Elle nous ramène d’elle-même à la définition de l’esprit gaulois. Contes merveilleux ou contes à rire, superstitions populaires, fables ou fabliaux, quelle qu’en soit la première origine, indienne ou persane, italienne ou peut-être française, en quelque lieu du monde, en quelque temps qu’ils soient nés, et qu’on y reconnaisse enfin les débris d’anciens mythes, ou au contraire, « les élémens fondamentaux des mythologies supérieures, » il n’importe, mais ils ne commencent d’exister pour nous qu’en se nationalisant, si l’on peut ainsi dire, et, déjà révélateurs des mœurs, des coutumes, des préjugés d’un temps, qu’autant qu’ils le deviennent encore du tempérament littéraire ou de l’âme d’une race. M. Bédier en donne quelque part un remarquable exemple, emprunté du Chevalier qui fist sa fame confesse. La version que La Fontaine en a rimée dans ses Contes est devenue classique, sous le titre du Mari confesseur, et sans doute on nous saura gré, comme à M. Bédier, d’en préférer les vers, pour les citer, à ceux du vieux fabliau, si le dénoûment en est d’ailleurs à peu près le même. La femme de messire Artus vient d’avouer son amour pour un prêtre :


Son mari donc l’interrompt là-dessus
Dont bien lui prit : « Ah ! dit-il, infidèle,
Un prêtre même ! À qui crois-tu parler ?
— À mon mari, dit la fausse femelle,
Qui se sut bien d’un tel pas démêler.
Je vous ai vu dans ce lieu vous couler,
Ce qui m’a fait douter du badinage,
C’est un grand cas qu’étant homme si sage
Vous n’avez su l’énigme débrouiller !
..........
— Béni soit Dieu, dit alors le bonhomme.
Je suis un sot de l’avoir si mal pris. »