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primitive : nous en avons de physiologiques, nous en avons de métaphysiques, nous en avons d’historiques aussi. Mais ce que nous n’avons aucun droit d’affirmer ni de supposer même, c’est que les Namaquas ou les Botocudos soient les vivans portraits du passé de nos races. « Tout ce que nous regardons comme irrationnel dans les mythologies civilisées, dit M. André Lang, n’apparaît aux sauvages, nos contemporains, que comme une partie intégrante de l’ordre des choses accepté et naturel, et dans le passé, apparaissait comme également naturel et rationnel aux sauvages sur lesquels nous avons quelques renseignemens historiques. Notre théorie est donc que l’élément sauvage et absurde de la mythologie n’est le plus souvent qu’un legs des ancêtres des races civilisées, qui n’étaient pas jadis dans un état intellectuel plus élevé que les Australiens, les Boschimans, les Peaux-Rouges. » C’est précisément ce qu’il faudrait prouver, mais, précisément aussi, c’est ce que l’on ne prouvera jamais ! On ne prouvera pas que les Boschimans ou les Australiens ne soient point des a dégénérés. » On ne prouvera pas davantage que les diverses races d’hommes aient toutes nécessairement passé par les mêmes phases de développement. Et on ne prouvera pas enfin qu’un conte nègre et un conte kalmouk, pour être identiques en substance, témoignent d’une antique « noirceur » des hommes jaunes, — ou réciproquement. Mais aussi longtemps qu’on ne l’aura pas prouvé, conclure de l’analogie des contes à l’identité des races ou des civilisations chez lesquelles ils se retrouvent, ce sera tourner dans un cercle vicieux ; et là effectivement est le vice de la théorie. Pour établir l’origine et la signification des contes, elle commence par poser en principe ce qui est en question ; et parce qu’elle rencontre une légende analogue chez les Peaux-Rouges et chez les Germains, elle en conclut qu’il fut un temps où les Germains étaient des espèces de Peaux-Rouges ; — ce qui est ce qu’il faudrait préalablement démontrer.

Pourrait-on invoquer d’autres raisons contre la théorie ? Oui, sans doute, et par exemple, on pourrait la presser sur ce qu’elle appelle, un peu bien délibérément peut-être, « l’élément sauvage, stupide et irrationnel » des contes. Qu’est-ce qui est « irrationnel ? » L’intervention d’une puissance occulte dans les affaires de l’humanité ? Il y aurait lieu de parler beaucoup à ce sujet… Ou encore, si « l’irrationnel » précède logiquement le « rationnel, » est-ce qu’ils ne peuvent pas coexister historiquement ? Et, alors, est-ce que du même fond d’irrationnalité d’où les Namaquas ont tiré leurs contes, nous n’en pouvons pas, nous, dans nos campagnes, tirer d’aussi « sauvages » et d’aussi « stupides » encore ? .. Mais si le fondement