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moyen âge. Le naturel en art est, premièrement, d’en avoir un à soi. J’en dis tout juste autant de la qualité de la langue. « La matière des Fabliaux étant souvent vilaine, l’esprit des Fabliaux étant souvent la dérision vulgaire et plate, nous dit M. Bédier, nos poèmes se distinguent aussi, toutes les fois que le sujet le requiert, par la vulgarité, la platitude, la vilenie du style. » Que si pourtant, en dépit de cette platitude et de cette vulgarité, la langue des Fabliaux est saine, vraiment française, exacte et juste, heureuse même parfois en son tour, pure surtout d’élémens étrangers et de prétentions pédantesques, qui ne voit que la raison s’en trouve uniquement dans le temps de leur composition ? Le plus ancien Fabliau que nous ayons est daté de 1159, — c’est le fabliau de Richeut, Richolt ou Richalt, — les plus récens, comme le Dit du Pliçon et le Dit de la Nonnette, sont d’un trouvère, Jean de Condé, qui mourut vers 1340. Le genre s’est donc développé dans la période classique de notre langue du moyen âge. C’est un hasard heureux, mais ce n’est qu’un hasard, une rencontre, une coïncidence historique. La qualité de la langue de nos Fabliaux ne leur appartient pas en propre ; elle n’est que celle de la langue de leur temps. C’est à peu près ainsi qu’au XVIIe siècle nos jansénistes écriront tous de la même manière, correcte, périodique, raisonneuse et verbeuse ; ou encore, si l’on veut, tous nos petits poètes du XVIIIe siècle, également légers, vifs, et superficiels, Bernis, Bertin, Parny, Lebrun… Ils useront de la langue de tout le monde, et ils en useront comme tout le monde. Les auteurs de nos Fabliaux n’ont pas fait autre chose. Et on peut bien dire, comme je le croirais volontiers, que la qualité de la langue de leur temps a favorisé le développement du genre. La langue du XIe siècle, inorganique, balbutiante encore, pauvre et raide, n’avait ni la souplesse ni la familiarité nécessaires à l’expression de ces détails de la vie commune qui font une part de l’intérêt de nos Fabliaux ; et la langue pédantesque, prétentieuse, lourde et emphatique du XIVe siècle ne les aura plus. Mais cette observation ramène toujours la même conclusion. Forme ou fond, la valeur littéraire des Fabliaux est nulle, et ils n’ont qu’une valeur purement historique. En quoi consiste-t-elle ?

Nous venons de le dire : c’est tout d’abord dans la nature des renseignemens qu’ils contiennent sur la vie commune, la vie quotidienne, la vie privée de leur temps, et, si je ne me trompe, lorsque Legrand d’Aussy, dans les dernières années du XVIIIe siècle, les tira de l’ombre ou de la poussière des bibliothèques, ce fut cette intention de ranimer le passé qui le guida dans son choix. L’homme est toujours infiniment curieux de l’homme ; et nos trouvères sont