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meilleur qu’il y ait sur nos Fabliaux, — aboutissait à son tour, ou peu s’en faut, aux mêmes conclusions. En fait de qualités littéraires, nos Fabliaux, mieux connus, n’en possèdent que d’uniquement, d’exclusivement, de purement historiques, y compris ce « naturel » même, et cette a franchise » ou « verdeur » de style que M. Bédier veut bien y louer encore.


I

Expliquons-nous d’abord et rapidement sur ces deux points.


Tout charme en un enfant dont la langue sans art
À peine du filet encor débarrassée,
Sait d’un air innocent bégayer sa pensée…


Tout ? C’est une question, et nous connaissons des enfans mal élevés, dont le naturel n’est guère que démontrer ce qu’ils feraient mieux de cacher. Nos Fabliaux ne sont « naturels » qu’en ce sens ou de cette manière. J’en citerais d’ailleurs un bon nombre qui ne sont pas moins « prétentieux » dans la grossièreté, pour leur temps, qu’en vérité s’ils étaient du nôtre ! Mais, dans la mesure où ils sont « naturels, » c’est qu’étant par définition des contes « réalistes, » leurs auteurs les ont composés pour un public dont l’éducation rudimentaire exigeait ce « réalisme, » et par conséquent ce « naturel, » de tous ses amuseurs. Cependant, pour manquer de « naturel, » encore faut-il en être capable, et on ne l’est pas sans quelque intention ou quelque moyen d’en manquer ! Comment un paysan du fond de nos provinces ne serait-il pas naturel ? Il lui faudrait, pour ne pas l’être, une éducation, des exemples, des ambitions qu’il n’a point ! Pareillement au XIIIe siècle, un bourgeois de Senlis ou d’Orléans. Rendons-nous donc bien compte ici qu’en louant nos Fabliaux d’être « naturels, » nous ne les louons à vrai dire que de leur grossièreté, ou à tout le moins de leur naïveté, pour ne pas dire de leur médiocrité. C’est ainsi qu’au Décaméron de Boccace quelques raffinés de delà les monts préfèrent les Nouvelles de Sacchetti. Mais le naturel de ce bourgeois de Florence n’ayant consisté qu’à manquer d’art, ou généralement de tout ce qui s’appelle des noms d’inspiration et d’originalité, c’est ce que je veux dire quand je dis que la valeur de nos Fabliaux est moins littéraire qu’historique. Et je ne la nie point, pour cela, cette valeur ! je ne la rabaisse point ; je vais même essayer de la définir et de l’estimer à son prix ; mais je replace d’abord les Fabliaux dans les conditions générales d’impersonnalité qui sont aussi bien celles de la littérature entière du