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même temps, elles ont en dessous l’esprit le plus fin et le plus malin ; rien ne leur échappe, ni un ridicule, ni une faute, ni l’opinion du monde. Pourtant, cette finesse ne leur sert de rien qu’à les réduire au désespoir, parce qu’elles n’ont pas de volonté. Telle était lady Oliphant ; elle mourait silencieusement, usée d’avoir trop aimé son fils, de lui avoir trop obéi, de l’inquiétude morale d’avoir manqué le chemin du salut et de laisser les siens, ses enfans adorés, dans une voie mauvaise.

Un jour, Lawrence et Alice reçurent d’elle des nouvelles inquiétantes. Ils quittèrent Londres, hâtèrent leur course jusqu’à Brocton, et la trouvèrent au plus mal. Mais Lawrence avait conservé toute sa foi. Il enleva celle qui ne vivait plus qu’à peine, la traîna sur la route immense qui va de Brocton sur l’Érié à la Californie, et la jeta aux pieds du prophète en lui disant : « Toi qui peux tout, à qui j’ai tout donné, sauve ma mère ! »

Car Harris savait évoquer les esprits supérieurs qui prolongent la vie ; mais il ne le voulut point. Il les trouvait gênans, ces revenans qui le prenaient à l’improviste dans sa nouvelle vie ; et derrière lui la femme qu’il favorisait cachait sa main où brillait une bague de prix donnée jadis au père, avec le reste de sa fortune, par lady Oliphant. Au bout de quelques jours, on expliqua aux pèlerins qu’ils étaient de trop, on les pria de quitter Santa-Rosa. Et, tandis qu’ils s’éloignaient, presque égarés par la douleur, Lawrence ne perdait pas encore cette belle et folle espérance qui n’abandonne pas plus le fils dont la mère va mourir que la mère dont le fils est à l’agonie. On lui dit que, non loin de là, dans un petit village nommé Cloverdale, il y avait une bonne femme qui faisait des miracles « par les herbes et la foi. » Il y transporta sa mère. Comme elle reposait sur son lit suprême, pendant que lui, Alice, et une amie fidèle, hallucinés sans doute, invoquaient ces mêmes esprits que le prophète avait refusé d’appeler, ils crurent entendre dans l’air une bataille invisible, le bruit d’une orageuse agitation d’ailes qui remplissait la chambre. Sûrement c’étaient eux qui venaient, qui luttaient contre les autres, ceux d’en bas. La malade, qui semblait d’abord souffrir beaucoup, entra dans une grande paix. Elle avait vu son père, disait-elle, une grande force lui revenait, elle serait sauvée. Un instant après, elle murmura quelque chose sur les anges qui volaient autour d’elle, poussa de grands soupirs, et mourut.


III

Lawrence avait perdu du même coup sa mère et son maître. Les révélations que lady Oliphant lui avait faites l’affectèrent encore