Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces galères sont redoutables, comme en fait foi le témoignage du père Dutertre. « Je ne l’eus pas plus tôt prise, écrit-il, que toutes ses fibres m’engluèrent la main, et à peine en eus-je senti la fraîcheur, car elles sont froides au toucher, qu’il me sembla avoir plongé mon bras, jusqu’à l’épaule, dans une chaudière d’huile bouillante, et cela avec de si étranges douleurs que, quelque violence que je pusse faire pour me contenir, de peur qu’on ne se moquast de moi, je ne pus m’empescher de crier par plusieurs fois à pleine teste : miséricorde, mon Dieu, je brusle, je brusle ! »

La pêche des éponges, des tortues et des perles occupe aux Bahama environ 500 embarcations montées chacune par huit hommes. On recueille les éponges par des fonds marins qui varient entre cinq et vingt-cinq brasses, dans les eaux chaudes ou tempérées, dans les localités les mieux abritées contre les courans ; elles sont toujours adhérentes à des corps inorganiques ou même organiques. On en connaît plus de 300 espèces ; les plus recherchées sont les éponges blondes de Syrie, de Venise et des côtes de Barbarie. Celles des Bahama sont de qualité inférieure, affectées aux usages communs, parfois pochées au trident, ce qui a l’inconvénient de les déchirer en les arrachant au rocher. La pêche s’en effectue par une mer calme ; quelques gouttes d’huile jetées sur l’eau, dont elles effacent les rides, permettent d’apercevoir les éponges qu’un plongeur va détacher avec un couteau. Empilées sur le pont, exposées aux rayons brûlans d’un soleil tropical, ces éponges, chargées de matières animales, exhalent une odeur infecte ; les pêcheurs n’en ont nul souci, et si l’espace manque sur le pont, ils les entassent dans l’entrepont, ne quittant les lieux de pêche qu’après avoir complété leur chargement. De retour à terre, les éponges sont séchées à l’air, lavées, nettoyées et classées en lots mis en vente. Les acheteurs, après examen, déposent, sur le lot qui leur convient, une enveloppe sous laquelle est mentionné le prix auquel ils l’évaluent. Le lot échoit au plus offrant. La valeur des éponges actuellement exportées des Bahama ne dépasse pas encore 1,500,000 francs par an.

On a exagéré l’abondance et surtout les dimensions des tortues de mer qui hantent les bancs des Bahama. L’espèce la plus fréquente, et dont on fait en Angleterre une importante consommation, est la tortue franche, ou Midas, animal lourd, doux et timide dont le poids excède rarement 100 kilogrammes et le diamètre 150 à 160 centimètres. On les pêche d’ordinaire au harpon, quelquefois au moyen de poissons vivans dressés à cette chasse et nommés poissons pêcheurs, ou sucets. Les indigènes les appellent revés, du mot espagnol reversi, parce qu’à première vue on est tenté de prendre leur dos pour leur ventre. « Ces poissons, écrit M. Frédol,