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Andros de la culture de l’agave, non qu’il y importât la plante, elle existait avant lui, mais rare et clairsemée, les cultivateurs la détruisant comme inutile et gênante partout où elle apparaissait. Passant un jour, en cours de voyage, devant la case d’un nègre, son attention fut attirée par une corde sur laquelle séchait du linge et dont la couleur et l’apparente souplesse le frappèrent. Sir Ambrose était originaire de Terre-Neuve, pays de marins ; il se connaissait en cordes, et celle-ci, soyeuse au toucher, flexible et résistante, ne ressemblait en rien à celles qu’il avait vues jusqu’alors. Il s’enquit d’où elle venait. À quoi le nègre lui dit l’avoir fabriquée lui-même avec les fibres d’une agave qui poussait dans un coin de sa cour. Après s’être convaincu qu’il disait vrai, le gouverneur n’eut plus de cesse qu’il n’eût persuadé aux habitans d’Andros de planter et d’exploiter l’agave. Il prêcha d’exemple, et, non sans peine, les convertit à ses vues. Il lui fallut, pour en arriver là, extraire des plantes existantes une certaine quantité de fibres, lesquelles, expédiées à Londres, s’y vendirent à raison de 50 livres (1,250 francs la tonne) et furent déclarées de qualité supérieure aux produits similaires du Yucatan.

En présence de ce résultat, nègres, blancs et métis se hâtèrent de multiplier l’agave. Un Écossais entreprenant acheta 2,000 acres de terre à 2 fr. 50 l’acre et installa la première plantation ; après lui, et à la suggestion de sir Ambrose Shea, une compagnie se forma à Saint-John, Terre-Neuve, et obtint une concession de 18,000 acres ; une autre, organisée à Londres, mit 20,000 acres en culture, et deux syndicats puissans soumissionnèrent, chacun, 100,000 acres. À côté de ces grandes exploitations, nombre d’autres plus petites se créaient, et le prix des terrains, qui était de 6 fr. 25 l’acre en 1890, s’élevait déjà à 15 francs en 1891, à 20 en 1892.

Les résultats que commencent à donner les plantations des Bahama, rapprochés de ceux obtenus dans le Yucatan, sont pour justifier les espérances conçues et les déboursés faits. Deux acres en exploitation rendent, en moyenne, une tonne de chanvre sésal. Le prix d’achat de ces 2 acres est de 40 francs ; le salaire des travailleurs varie de 1 fr. 80 à 3 francs par jour, selon la saison et la localité, bon nombre d’entre eux étant pêcheurs de perles ou pêcheurs d’épongés, et, à l’époque de la pêche, occupés sur la côte. On supplée à leur absence temporaire par le travail des femmes, rémunéré à raison de 1 fr. 25 par jour. Les calculs actuels établissent qu’une tonne de fibre revient au planteur entre 250 et 300 francs. Le prix de vente oscille, actuellement, pour le chanvre du Yucatan, entre 600 et 650 francs la tonne ; la fibre